La table peinte du Musée National du Moyen Age
par Catherine Auguste
ancienne élève
des Beaux-Arts de Paris
designe et décore des cabinets de curiosités
Musée du Moyen Age Thermes de Cluny
6 place Paul Painlevé
75005 Paris
Tous les jours
sauf le mardi
de 9 h 15 à 17 h 45
www.musee-moyenage.fr
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détail de la table peinte avec le
médaillon "la sottise"
Table décorée de quatre médaillons quadrilobés (détail) début 15e
siècle
Paris, musée national du Moyen Âge - Thermes de Cluny
© RMN / René-Gabriel Ojéda
Comme la plupart des tables au Moyen
Age, il s’agit d’une table pliante à savoir un plateau monté
sur des tréteaux. On pense qu’elle était destinée aux
réunions et non aux banquets, peut-être même fut-elle peinte
à l’occasion d’une assemblée solennelle dont les
participants étaient les détenteurs des armoiries peintes
sur la bordure. On retrouve outre des armoiries allemandes,
des armoiries écossaises ou maures. Proche d’une autre table
conservée à Lüneburg en Basse-Saxe, la table du musée du
Moyen Age est originaire d’Allemagne du Nord. Le style des
peintures, dans la suite de Conrad de Soest, permet de la
dater du début du XVe siècle.
La table a rejoint les collections du
musée en 1864 et ne subit que quelques dépoussiérages et
refixage des peintures.
Origine Allemagne du Nord
Début du XVe siècle (vers 1420)
Bois peint
Largeur 76 cm, Longueur 455 cm, Epaisseur 4.3 cm |
Description des motifs
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Le décor s’organise de la façon
suivante :
- Une bordure avec différents écus qui
s’alignent régulièrement dans un lacis végétal (des feuilles
de vigne ?),
- Un centre de fond vert où quatre
médaillons quadrilobés, un motif récurrent de l’architecture
gothique, sont séparés de blasons avec heaumes et cimiers.
Il y a un sens au décor central car les
scènes historiées des médaillons et les blasons ont été
peints pour être appréciés d’un seul côté comme si la table
devait être occupée sur un unique côté.
Remarquez les variations et les
orientations variables de ces médaillons.
Table décorée de quatre médaillons quadrilobés, début 15e
siècle
Paris, musée national du Moyen Âge - Thermes de Cluny
© RMN / Gérard Blot
Le programme iconographique des
médaillons est conçu, non pas comme une suite narrative mais
en termes d’opposition : la sottise et la sagesse, la force
du faible et l’impuissance du fort. Selon une lecture de
gauche à droite nous pouvons voir :
Le premier médaillon, « La sottise »
représente l’âne au lit entouré des trois personnages qui
semblent s’inquiéter de son état. Il illustre le proverbe de
la sottise couronnant l’âne.
Dans la tradition médiévale, l’âne est
l’animal qui offre la plus grande diversité de symboliques
et de connotations : stupidité, ignorance, ruse, lâcheté,
lubricité… Et lorsque, dans un proverbe, un homme apparaît
en compagnie de l’âne, il en subit souvent une dégradation.
Ainsi la situation grotesque de l’âne alité réduit les trois
personnages au rôle de la sottise.
Le deuxième médaillon, « Les limites
de la puissance » figure un roi couronné sur son trône.
Celui-ci est entouré d’un bateau, d’un aigle et d’un
serpent. Un autre personnage se tient en arrière. La scène
illustre les Proverbes 30 : 18 et 30 :19 tirés de la Bible :
Il y a trois choses qui sont au-dessus de ma portée, même
quatre que je ne puis comprendre ; La trace de l'aigle dans
les cieux, La trace du serpent sur le rocher, La trace du
navire au milieu de la mer, Et la trace de l'homme chez la
jeune femme.
Le troisième médaillon, « La force
du faible » illustre la fable d’Esope, le lion et le rat
reconnaissant ou les gens les plus puissants ont besoin des
faibles lors des changements de fortune. On voit ici le lion
attaché à un arbre, le rat qui accourt au devant et les deux
chasseurs. Voici la fable :
Un lion dormait ; un rat s’en vint
trottiner sur son corps. Le lion, se réveillant, le saisit,
et il allait le manger, quand le rat le pria de le relâcher,
promettant, s’il lui laissait la vie, de le payer de retour.
Le lion se mit à rire et le laissa aller. Or il arriva que
peu de temps après il dût son salut à la reconnaissance du
rat. Des chasseurs en effet le prirent et l’attachèrent à un
arbre avec une corde. Alors le rat l’entendant gémir
accourut, rongea la corde et le délivra. « Naguère, dit-il,
tu t’es moqué de moi, parce que tu n’attendais pas de retour
de ma part ; sache maintenant que chez les rats aussi on
trouve de la reconnaissance. »
Le quatrième médaillon, « La sagesse
et le Jugement de Salomon », rapporte l’épisode de la
Bible (premier livre des Rois 3, 16-28) où Salomon, le roi
d’Israël, se trouve confronté au différend qui oppose deux
femmes ayant mis chacune au monde un enfant, mais dont l’un
est mort étouffé.
Dans le médaillon, Salomon assis se
tourne vers les deux femmes, un serviteur lui apporte une
épée à sa demande. Il propose de partager de son épée
l’enfant survivant que les deux femmes se disputent. Mais
l’une préfère renoncer à l’enfant plutôt que de la voir
sacrifier. Salomon reconnaît en elle la vraie mère. Face à
un litige, la sagesse nous conduit soit à partager les torts
entre les deux parties ou bien mettre celles-ci dans une
situation qui oblige le changement de stratégie de l’une
d’entre elles. |
Bref aperçu sur les armoiries
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détail d'un cimier de la table
peinte
Table
décorée de quatre médaillons quadrilobés (détail) début 15e
siècle Paris
musée national du Moyen Âge - Thermes de Cluny
© RMN / René-Gabriel Ojéda
Le cimier
Initialement, le cimier a une fonction
militaire : il sert à grandir la silhouette de son porteur
pour mieux impressionner son adversaire. Il devient ensuite
un ornement de parade, destiné à frapper les imaginations
des spectateurs avant l'entrée en tournoi, mais non à
résister à l'épreuve. En tant que pièce militaire, le cimier
a été abandonné après le XVIe siècle, mais a survécu comme
élément décoratif des armoiries.
La pratique du blason en Allemagne
L'Allemagne est le pays où l'on voit
les plus belles armoiries sous le rapport des formes
extérieures : les lambrequins placés autour de l'écusson,
qui lui-même prend les formes les plus gracieuses, sont
toujours arrangés avec le goût le plus parfait. C'est
peut-être en Allemagne seulement que les armoiries ou plutôt
que les meubles qui chargent l'écu, ont conservé la
simplicité primitive des temps les plus anciens du blason ;
nulle autre part l'écu n'est moins chargé de pièces, et,
celles qui le meublent, lorsqu'elles ne sont pas parlantes
du nom, rappellent toujours les nobles exercices de la
guerre ou de la chasse ; mais c'est dans les nombreux
cimiers qui surmontent un même écu que se révèle le goût
germanique, et le cachet particulier que les Allemands ont
donné aux armoiries. Ces cimiers se composent de choses
naturelles et artificielles les plus bizarres, les plus
disparates, et quelquefois les plus burlesques.
Dans ces cimiers, qui semblent n'avoir
été créés que pour les jeux militaires et les tournois, on
voit que toutes les pièces qui surmontent quelquefois un
seul casque, et sous le poids desquelles l'homme le plus
robuste eût ployé, lors même qu'elles auraient été
fabriquées des matières les plus légères, rappellent la
chevalerie et les droits seigneuriaux ; c'est ainsi qu'on y
remarque beaucoup de trompes ou cornets de tournois, des
plumes de paon, des figures humaines sans bras et des
membres d'animaux.
On doit penser que les aigles sont très
fréquentes dans les armoiries allemandes, soit comme
concession des empereurs, soit comme armoiries d'origine,
l'aigle étant l'attribut particulier de l'Empire.
Tous les objets propres à symboliser
des droits seigneuriaux : les haches, les cors de chasse ou
huchets, les hameçons et harpons, les roues et fers de
moulin viennent aussi se placer sur le cimier.
Par les cimiers, on indique aussi les
fiefs. Enfin, on pourrait dire du cimier allemand qu'il est
l'armoirie, et que l'écu n'en est que l'accessoire. |
Autres tables peintes
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Table peinte de l'hôtel de ville de Lüneburg,
vers 1360-1670
Lüneburg (Basse-Saxe en Allemagne), Museum für das
Fürstemtum
Table souabe, fin du 15e siècle
Vienne (Autriche), Museum für Angewandte Kunst
Table peinte, qui représente un tournoi, en
1515 par Hans Holbein le Jeune,
Zurich (Suisse), Schweizerisches Landesmuseum
Table peinte dans les Pays-Bas vers 1525,
Heeswijk (Pays-Bas), abbaye de Berne
Table de Jerôme Bosch, vers 1500
Huile sur bois, 120x150 cm, Musée du Prado, Madrid
Pour voir des images de la table de Bosch :
http://commons.wikimedia.org/wiki/Category:The_Seven_Deadly_Sins_and_the_Four_Last_Things
Notes : Il existe d'autres tables peintes tout
au long de la Renaissance en Allemagne (tables bavaroises à Munich ;
table peinte par Hans Baldung Grien à Berlin ; par Martin Schaffner
à Kassel ; par Hans Sebald Beham au Louvre, une table avec les
épisodes de la vie de David) |
Bibliographie
|
Eames, Medieval Furniture,
1977
Eames (P.), Furniture in England, France and the Netherlands from
the twelfth to the fifteenth century, London, 1977. p.222
Ariès, Duby, Histoire de la vie privée, 1985
Ariès (P.), Duby (G.), sous la direction de, "Histoire de la vie
privée, de l'Europe féodale à la Renaissance", Paris, 1985 p.569,
Un mois, une oeuvre, 1995, 01
Le Pogam (P-Y.)," Table peinte" Un mois, une oeuvre, janvier 1995. |
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