Recettes Pour 
une meilleure peinture à l'huile 


par Jean-Charles FUMOUX
ancien élève de Robert Mermet
restaurateur de tableau, professeur de peinture

74 Bvd de Cessole
06100 Nice
04 92 09 88 65
jc.fx@orange.fr
peindre-vrai.fr
 

Comme beaucoup d’éléments de notre vie, la peinture est sujette à des phénomènes de mode. Un nouvel état d’esprit se fait jour avec le désir de revenir à la technique des anciens Maîtres : effets émaillés, redécouverte des glacis etc.
Ce mouvement d’un retour aux traditions répond en grande partie à la demande de collectionneurs de plus en plus nombreux. Déçus, à tort ou à raison, par l’art abstrait ou une peinture figurative qu’ils jugent trop commerciale, ils se tournent vers une peinture plus fidèle aux techniques traditionnelles.
Il est vrai que la peinture ancienne, flamande en particulier, à de quoi nous surprendre : beauté et fraîcheur des couleurs, rendus des effets de lumière mais surtout capacité à traverser le temps sans subir de grands dommages.

Bien qu’offrant un éventail plus grand de couleurs et un nombre de produits complémentaires impressionnants, paradoxalement, les peintures actuelles ne nous permettent qu’imparfaitement d’effectuer le même travail. Car c’est au cours du XIXème siècle et dans la première moitié du XXème que l’on a assisté à ce qu’il est convenu d’appeler la perte des traditions techniques. Deux inventions sont responsables de cet état de choses.
- La première remonte aux années 1700. C’est le nouveau procédé d’obtention des huiles par adjonction d’eau bouillante en étuve. Avant, on torréfiait d’abord les graines ou les cerneaux qu’on enfermait dans des sacs de toile avant de les placer sous presse pour en extraire l’huile. Hormis le nom, les deux produits n’ont presque rien en commun : onctuosité, siccativité, couleurs diffèrent.
- La seconde date de 1840. C’est l’apparition des premiers tubes de peinture et d’un nouveau métier : celui de fabricant de couleurs. On assiste alors à une standardisation de la fabrication et l’on cherche à obtenir la pâte picturale la moins siccative possible, gage d’une longue conservation de la peinture à l’intérieur des tubes. Exactement l’effet inverse de ce que tous les anciens Maîtres avaient perfectionné à l’extrême !

Rapidement, d’autres éléments commercialement intéressants, mais néfastes à la pâte même viendront s’ajouter: cire, graisse, saindoux qui donneront une matière agréable à l’œil mais, malheureusement, débarrassée des éléments qui faisaient sa richesse.

Dès lors, on comprend mieux que les produits que nous utilisons aujourd’hui, n’ont plus rien en commun, hormis le nom, avec ceux du passé.

Faut-il, pour autant, tout reprendre à zéro ?

La réponse est non.
Quelques centaines de francs d’investissements, un minimum d’opérations manuelles suffisent pour acquérir un matériel très comparable à celui des anciens ateliers.

 

L’huile

 

C’est l’élément essentiel.

C’est elle qui enrichie à la fois les couleurs, mais aussi les vernis gras définitifs, les vernis à retoucher ainsi que les vernis à peindre ou médiums
Du soin que nous allons apporter à sa transformation va dépendre le résultat final.

Quelle huile allons nous choisir et quelle modification allons-nous lui apporter ? Réponse : huile de noix cuite

En peinture, seules quelques huiles végétales et une seule huile animale peuvent être utilisées :
Huile de Lin – de noix – d’œillette – de tournesol ou hélianthe – de carthame et enfin l’huile d’œuf.

Malgré le fait qu’elle dissout les résines à froid et que non siccative elle forme des vernis qui durcissent normalement, l’huile d’œuf est introuvable.

L'huile de noix

Dans le passé seules l’huile de lin et celle de noix étaient utilisées. Et, contrairement à ce que l’on pense généralement l’huile de noix jouissait d’une immense réputation auprès des vieux Maîtres, elle était la plus utilisée ! Depuis lors, elle est tombé en discrédit.
Le reproche qu’on lui fait de rancir est parfaitement injustifié. Une huile de noix de qualité élaborée à partir de cerneaux triés ne rancit pas ! J’atteste ce fait ayant conservé 5 ans une huile de noix pourtant laissée au contact de l’air !

Autre reproche qu’on lui adresse : elle serait peu siccative. Cela est parfaitement faux et relève de la légende ! Sa siccativité est différente de celle des autres huiles, de lin en particulier. Son séchage lent au départ va s’accentuant au fur et à mesure du temps. Ce qui à première vue peut apparaître comme un défaut est en réalité un avantage considérable en peinture, car son séchage s’effectue harmonieusement dans la masse. Le film de linoxyne qu’elle produit est beaucoup plus beau et résistant que toutes les autres huiles.

Elle possède en outre deux avantages : elle jaunit très peu, beaucoup moins que l’huile de lin, et confère à la pâte un moelleux incomparable.

Deux expérience simples à réaliser prouveront ce qui vient d’être dit :

-Ajoutez à votre peinture quelques gouttes de cette huile crue et vous constaterez immédiatement le moelleux qu’elle apporte à votre travail.
-Siccativez deux échantillons d’huile crue, un de lin et un de noix. Puis, passez ces deux produits sur une vieille toile peinte mais non vernie ; après séchage de quelques jours, vous constaterez que l’échantillon à l’huile de noix produit un vernis d’une toute autre qualité.

Je suis plein de respect pour un spécialiste aussi éminent que l’était Xavier de Langlais mais ne comprend toujours pas pourquoi il n’a pas personnellement expérimenté cette huile particulièrement adaptées à la peinture.

Je conseille d’utiliser préférentiellement cette huile.

(une adresse de fabricant d'huile de noix à partir de cerneaux torréfiés, c'est à dire comme autrefois :
Moulin de la Tour
Sainte Nathalène
24200 Sarlat
05 53 59 22 08
www.moulindelatour.com 
contact@moulindelatour.com

Et cuite...

Actuellement, pour des raisons évidentes de faible siccativité et de coût, les fabricants emploient des huiles crues.

Les anciens, eux, cuisaient l’huile destinée à la fabrication des peintures. Ils lui ajoutaient des résines, puis ils l’exposaient ensuite longuement au soleil, obtenant alors une matière sirupeuse à la couleur de l’ambre le plus foncé et à la siccativité renforcée, aux propriétés très différentes de l’huile crue :

1°/ la viscosité plus accentuée facilite le broyage et donne une pâte qui s’arrondit mieux sous le pinceau.

2°/ une couleur broyée avec une huile cuite est beaucoup plus brillante que celle broyée avec une huile crue.

Cette différence s’accentue encore au séchage et le brillant de la couleur broyée à l’huile cuite rappelle l’éclat de l’émail.

3°/ la siccativité de l’huile cuite est très nettement accrue. Du simple au double pour une huile ayant cuit 3 heures.

Méthode de cuisson de l'huile

On utilisera une casserole émaillée ou mieux une friteuse électrique à température réglable. Attention : celle-ci deviendra alors inutilisable pour la cuisine !

2 solutions existent :

A/ Sur une plaque électrique cuire l’huile pendant 3 heures à une température de 120°.

B/ On peut également cuire l’huile en barbotage dans l’eau (1/3 d’eau, 2/3 d’huile). On augmentera simplement le temps de cuisson d’une heure, soit 4 heures. Ensuite on séparera l’huile de l’eau.

Nota : Ceux qui voudraient siccativer davantage leur huile peuvent adjoindre à celle-ci avant cuisson :
-Soit 10 grammes de litharge
-Soit du cristal finement broyé (20 ou 30 grammes)
On transvasera le liquide obtenu dans une bouteille de verre blanc qu’on placera au soleil. L’huile se clarifiera et gagnera encore en siccativité.

Nous possédons désormais le produit de base modifié. Avant de nous en servir pour fabriquer des produits annexes : vernis à peindre, vernis à retoucher et vernis gras définitif, nous allons déjà l’utiliser pour fabriquer les peintures.

 

Fabrication des peintures

 

On peut évidemment partir des pigments eux-mêmes et effectuer le traditionnel travail de broyage en remplaçant l’huile habituelle par l’huile cuite que nous venons de préparer.

Pour ceux que le travail de broyage rebute ou qui ne possèdent pas de pigments, la solution est simple. Comme s’ils préparaient leur palette, ils poseront les noix de couleur sur un buvard ou un papier absorbant épais de couleur blanche. Ils laisseront ainsi leurs peintures le temps qu’elles se déshuilent au maximum. Puis, à l’aide d’un couteau à peindre, ils ajouteront l’huile cuite à chaque noix de couleurs.

Pour ma part, ce travail est vite réalisé car je ne travaille qu’avec les 3 primaires, le noir et le blanc selon la loi de la Trichromie des couleurs.

 

Les vernis

 

Les vernis destinés à la peinture artistique se divisent en 3 groupes :

1°/ Les vernis à peindre appelés aussi médiums : Ce sont des diluants qui permettent à l’artiste de modeler la pâte selon son désir, tout en étant des Régulateurs de séchage.

2°/ Les vernis à retoucher qui sont aussi des vernis provisoires. Leur rôle est d’assurer une liaison des couches successives, lors d’une reprise du travail. Ils évitent aussi le phénomène d’embu

3°/ Les vernis définitifs appelés aussi vernis à tableaux. Leur rôle est de protéger l’œuvre de toutes les agressions extérieures, humidité en particulier.

Peu d’éléments différencient ces 3 vernis :

- Les vernis définitifs possèdent une concentration maximum en résine.

- Les vernis à peindre sont de composition similaire aux vernis définitifs, mais allongés d’une essence: térébenthine ou aspic.

- Les vernis à retoucher sont très fluides car leur concentration en huile et en résine est bien moindre que dans les deux précédents. Leur diluant est l’essence de pétrole qui leur permet de pénétrer profondément les couches successives. Ils sèchent rapidement.

Compte-tenu de ce qui précède, on comprend facilement qu’on obtient les vernis à peindre et à retoucher en partant du vernis définitif.

Les préférences des anciens

Les préférences des anciens Maîtres allaient aux vernis gras additionnés d’une résine. Les recettes anciennes qui nous sont parvenues rapportent l’utilisation quasi-exclusive de 4 résines : Dammar – Mastic – Copal et Térébenthine de Venise. Chacune employée seule ou en coupage.

Les recettes anciennes à base de Térébenthine de Venise sont les plus nombreuses. Toutes accordent à reconnaître à ce "Baume" des vertus particulières remarquables :

  1. Il évite l’embu
  2. Il donne aux couleurs auxquelles il est ajouté une brillance qui rappelle l’émail.
  3. Son pouvoir de brillance est tel que c’est la seule résine, si elle est correctement employée qui permette d'éviter le vernissage final.

Cette résine tant louée par les anciens peintres, mais aussi les luthiers, mérite un court développement :

- contrairement à ce que peut laisser entendre son nom, il ne s’agit nullement d’une essence mais d’un baume qu’on extrait par incision faite dans le tronc du mélèze. Le baume le plus prisé, appelé "Bijon" est celui qui s’écoule naturellement de l'arbre durant l’été.
- fossilisé, c’est probablement lui qui donne l’ambre !
- de la distillation de ce baume les anciens tiraient une essence végétale, plus exactement une huile essentielle de térébenthine de Venise, car le mot essence était alors inconnu. En effet, à cette époque tous les liquides obtenus par distillation s’appelaient huiles essentielles.

La térébenthine de Venise n’a qu’un défaut mineur : elle sèche relativement lentement.

Fabrication du vernis gras définitif résineux

Nous partons, bien évidemment, de l’huile de noix cuite que nous avons précédemment fabriquée.
Sur la plaque électrique,  nous amenons celle-ci à une température de 70° environ.
Sans attendre, mais loin du feu, nous ajoutons le baume de térébenthine de Venise, jusqu’à saturation.
On obtient un vernis épais, dont la consistance varie, suivant la température, du gel épais au liquide visqueux.

Fabrication du vernis à peindre ou medium

Après avoir porté de l’eau à une température de 50°, on fait tiédir au bain-marie, loin du feu, de l’essence d’aspic.
On fait de même avec le vernis gras définitif résineux.
Quand ces deux produits ont tiédi, on les mélange dans la proportion de :
- 1 volume de vernis gras pour
- 5 volumes d’essence d’aspic.

Nota : dans les mêmes proportions, on peut remplacer l’essence d’aspic par de l’essence de térébenthine commune. On obtiendra alors des vernis plus tirants. Les formules à l’essence d’aspic sont les plus moelleuses.

Quand on utilisera ce vernis pour peindre, et pour respecter scrupuleusement la loi du gras sur maigre, on lui ajoutera de temps en temps quelques gouttes d’huile de noix cuite.

Fabrication du vernis à retoucher

Rappelons que ce dernier vernis peut également servir de vernis d’attente.

Après avoir porté de l’eau à la température de 50°, on fait tiédir au bain-marie, loin du feu, de l’essence de pétrole.
On fait de même avec le vernis gras définitif résineux.
Quand ces deux produits ont tiédit, on les mélange dans la proportion de :
- 1 volume de vernis gras pour 
- 10 volumes d’essence de pétrole.

 

Conclusions

 

Les recettes qui viennent d’être données peuvent être modifiées en fonction de la façon de peindre de chacun.
Ainsi, la cuisson de l’huile qu’on désirera plus siccative peut être allongée.

L’huile de noix peut, bien évidemment, être remplacée par de l’huile de lin, voire par de l’huile de Tournesol que l’on peut récupérer déjà cuite dans la friteuse de la cuisine. Dans ce dernier cas, la mettre à décanter et à clarifier au soleil !….

D’autre part, d’autres résines pourront être utilisées seules ou mélangées : Mastic, Dammar, Sandaraque, Elémi, Gomme laque (Voir à ce sujet : Résines naturelles et vernis traditionnels, cours préparé par Mr MENARD). On aura soin alors de ne pas dépasser leur température de fusion.

En ce qui concerne l’Ambre et le Copal leur dissolution nettement plus complexe réclame un matériel adéquat : mantras en particulier.

Comme on peut le constater, chacun peut facilement concevoir ses propres produits en fonction de sa façon de peindre et de ses goûts personnels. Il suffit de savoir :
1°/ que l’essence de térébenthine commune donne à la pâte un certain "Tirant"
2°/ que l’essence de lavande ou celle d’aspic confère à la pâte plus de "Moelleux"
3°/ que le Baume du Canada ne supporte pas la moindre goutte d’essence minérale (Pétrole, White Spirit) qui le fait immédiatement précipiter.
4°/ que le Stand Oil encore appelé Standolie ou Huile Hollandaise ajoutée au vernis dans une faible proportion (10%) lui confère une grande solidité et donne, ajoutée aux médiums, un surplus de brillance aux couleurs.

Les puristes, s’ils le désirent, pourront s’approcher davantage encore de la technique des anciens en fabricant une Huile essentielle de térébenthine de Venise  proche de celle qu’utilisaient les anciens Maîtres. Voici comment procéder :
-D’abord tiédir au bain-marie, loin du feu, de l’essence d’Aspic
-Quand celle-ci aura atteint une température de 50° environ dissoudre le baume de
térébenthine de Venise.
Ce dernier produit pourra alors servir d’essence pour la préparation des Vernis maigres.

Enfin, pour tous ceux qui désire récolter leur propre Bijon (Baume de mélèze), voici comment le traiter par la technique de l’enfleurage utilisée en parfumerie, pour obtenir un produit débarrassé de toutes ses impuretés :
-Après la récolte dissoudre à froid la résine recueillie dans de l’Acétone.
-Laisser décanter le liquide obtenu
-Séparer alors le sirop Acétone-Baume du résinoïde qui s’est déposé.
-Porter de l’eau à 70°
-Loin du feu, mettre le récipient qui contient le sirop Acétone-Baume au bain-marie dans le récipient d’eau.
-l’Acétone se met alors à bouillir.
-Répéter la dernière opération jusqu’à ce que toute ébullition ait totalement disparue.

 

   

 

 


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