Bref, ce sténopé m’embarrassait, c’est
tellement plus simple sur un meuble !
J’ai d’abord démonté tout ce que je pouvais
démonter pour éclaircir la situation, rassemblant les pièces dans
une petite boîte avec un dessin pour la remise en état (on oublie
vite !) mais çà ne changeait rien. Je l’ai donc laissé de côté
pendant plusieurs semaines, là sur mon bureau près de mon ordinateur
pour me donner mauvaise conscience de le négliger.
Mais il arrive un jour où on reçoit un coup de
fil ou un mail demandant des nouvelles du sténopé ! On aimerait
avoir un coup de génie, baigné dans l’enthousiasme de la création ce
jour-là. Sur ce coup, rien de tel. J’étais comme le bagnard à la
recherche d’un plan d’évasion efficace, je passais en revue des
thèmes décoratifs.
1/ La première piste : collages de scénettes surréalistes
Le sténopé étant un appareil photographique, je
pensais composer des pastiches d’images photographiques selon le
principe de l’arte povera : collage d’images et vernissages
successifs pour lisser la surface finale. J’ai alors découpé des
images de magazines en vue de les détourner de manière surréaliste,
toujours en micro-format ! L’objectif était de coller ces scénettes
débridées de façon anarchique sur la boîte, un peu comme des
souvenirs de vacances. Au bout de deux scénettes, le pastiche
devenait très difficile à concevoir car il me fallait trouver du
micro-format ! Et je me dégoûtais moi-même de cette solution pauvre
qui ne signifiait rien.
Donc abandon. Il me restait un peu plus de deux
semaines pour trouver une idée. Je laissais le sténopé dans un coin
de l’atelier cette fois-ci.
2/ La deuxième piste : les illusions d’optique
Le sténopé étant un appareil photographique,
l’idée des illusions paraissait évidente. Dans un petit coin de mon
cœur restait l’exposition de
Thomas Huber au Carré d’Art à Nîmes. Ce
peintre suisse réalise des architectures d’intérieur dépouillées.
J’y retrouvais les gravures de perspective de Vredeman de Vries
(XVIe siècle) où les lignes de fuite dessinées finissent par
composer une représentation de figures géométriques de carré ou de
losange.
La perspective me ramenait également au
dispositif de Bruneschelli, à la camera obscura de Veermer, et aux
expériences des peintres qui souhaitaient projeter l’infinité sur un
horizon limité. Simple fascination « scientifique » des lignes. Je
m’approchais de la photographie par une idée de la réalité déformée.
J’avais mon sujet. J’élaborais des perspectives vertigineuses sur
papier au format des faces de ma boîte avec toujours à l’horizon une
porte ou une fenêtre ouverte vers l’infini comme le trou du sténopé.
Puis premier exercice coloré à la manière de Thomas Huber sur la
boîte. Les lignes peintes au pinceau trahissaient mon incompétence à
peindre des traits droits. En fait, on aurait cru une tartouille de
maternelle.
Désespoir. Là, j’étais prête à payer le sténopé
pour en finir rapidement.
3/ Dans le fond : qu’avais-je à dire ?
Jusque-là rien. Le collage de pastiches
photographiques : médiocre dans la forme et sur le fond. Un truc de
fainéant. Les illusions d’optique : un sujet intéressant mais il
faut savoir peindre des traits droits. Et puis l’effet est
certainement meilleur sur des surfaces supérieures à ma boîte.
Il me restait à poncer toutes les
surfaces peinturlurées ; et je posais le sténopé sur ma table
d’atelier.
Mais que savais-je sur le principe du sténopé :
rien. Je ne m’étais pas encore penchée sur l’objet lui-même. Je me
branchais sur le net et m’emparais de deux articles qui m’ont
ramenée sur le chemin de la connaissance et de l’enthousiasme :
- La photographie au sténopé de Robert
Colognoni qui apprend à construire un sténopé et à photographier sur
www.galerie-photo.com/stenope.html
- Le sténopé de Nicolas Anquetil qui aborde
l’esthétique de la pratique du sténopé sur
http://nicolas.anquetil2.free.fr/index.html
Je découvrais que je pouvais construire
moi-même mon sténopé, que certains ont transformé leur camionnette
en sténopé… et que cette petite boîte économe en moyens était
finalement un art de vivre plus qu’un résultat photographique à
cause du piqué. L’objet devenait alors familier et attachant.
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