Jusqu’au XVIIe siècle en régions
alpines, dans les campagnes et plus particulièrement dans les
vallées, les menuisiers et les paysans souvent eux-mêmes,
construisaient leurs meubles pour la plupart en sapin et en arolle
(essentiellement des coffres qui servaient à tous usages). Les
résineux se trouvaient en abondance et étaient faciles à travailler.
Parfois, ces meubles étaient décorés de sculptures simples (rosaces,
étoiles, etc.).
Dès 1600 environ, la Renaissance italienne
apporta le goût du faste et du décor en Helvétie, importé par le
mercenariat qui a fait découvrir le monde à des capitaines revenus
fortunés. Les familles riches commandaient de magnifiques meubles
ornés d’incrustations et de marqueteries (paysages en perspective,
motifs géométriques ou fleurs stylisées…). C’est pour imiter ces
marqueteries que les plus pauvres et les artisans moins habiles
commencèrent à peindre au pochoir, sur leurs meubles plus simples,
des motifs géométriques foncés et monochromes. Ainsi, au début la
peinture sur meuble était la marqueterie du pauvre.
Planche 1 : Peinture au pochoir, petit coffre bernois de 1672
© galerie allegri antiquités
Plus tard, certains éléments des décors se sont
animés de rouge ou de blanc pour ressembler à des fleurs qui
deviendront bientôt des fleurs stylisées peintes à main levée ;
d’autres couleurs s’ajoutèrent : le vert, le jaune, le bleu… Au
XVIIIe siècle, en même temps que l’on voyait de plus en
plus d’armoires dans les maisons, le pochoir a été de plus en plus
mis de côté au profit du riche décor stylisé peint à la main, avec
des oiseaux, des fleurs dans des vases, des cœurs et autres motifs
décoratifs populaires. N’ayant pas une maîtrise technique suffisante
pour une reproduction fidèle de la nature, les
artisans-peintres-sur-meubles ont généré une expression créatrice
originale par la stylisation de celle-ci et ont essaimé certaines
campagnes et vallées de purs chef-d’œuvre de décoration
(planche 2). Ce n’est qu’aux temps de l’Art
Nouveau et de l’Art déco que l’on remettra en valeur la stylisation
de la nature, après la découverte de la photographie qui a d’un coup
dévalorisé la peinture naturaliste..
Planche 2 : Peinture stylisée, buffet bernois de
1780
© galerie allegri antiquités
La peinture sur meuble a ensuite évolué
régionalement. Le subit intérêt de la société pour la campagne,
déclenché par Jean-Jacques Rousseau, a inspiré des peintres sur
meubles qui n’ont pas craint de peindre des vaches ou des vachers
fumant la pipe… Le Seeland bernois et la région de Schwarzenburg
sont restés fidèles à la peinture stylisée et ont créé les plus
beaux chefs-d’œuvre du genre (planche 3) ;
dans l’Oberland bernois et le Pays-d’Enhaut vaudois, on trouve les
meubles peints sur un fond bleu-vert inimitable et qui sont très
recherchés pour cela et pour la finesse des bouquets
(planche 4). Dans le Toggenburg (St
Gall), l’influence « baroque » a été très forte ; anges,
trompe-l’œil, nuages et chérubins et autres images religieuses ont
décoré lits, armoires, coffres, etc.
(planche 5). On y a aussi aimé la
représentation des fruits, du raisin en particulier
(planche 6).
Planche 3 : L’apogée de la peinture stylisée, coffre bernois de 1750
© galerie allegri antiquités
Planche 4 : Le fond bleu-vert de l’Oberland bernois, buffet de 1789
© galerie allegri antiquités
Planche 5 : Peinture « baroque » du Nord-Est de la Suisse, lit
Saint-Gallois de 1800 environ
© galerie allegri antiquités
Planche 6 : Décor de fruits, panneau d’une armoire du Toggenburg de
1742
© galerie allegri antiquités
Tout près d’Appenzell, à la fin du XVIIIe
siècle, une puissante émulation s’est développée et a engendré un
nombre incroyable d’objets peints : armoires,surtout, coffres, fonds
de seillons, boites… Essentiellement, ce sont des paysages animés
campagnards avec des animaux, des scènes de genre cocasses
(planche 7)
ou des scènes solennelles avec des personnages en redingotes et
costumes (planche 8)
ou encore des paysages animés imaginaires avec des éléments de
décors baroques comme les coquilles et les colonnes en trompe-l’œil
(planche 9).
Planche 7 : Armoire peinte par Conrad Stark en1819. Une imagination
fertile !
© galerie allegri antiquités
Planche 8 : Panneau particulièrement original provenant d’une
armoire appenzelloise de 1778
© galerie allegri antiquités
Planche 9 : Impressionnante armoire de mariage Saint-Galloise de
1803
© galerie allegri antiquités
Des peintres se sont faits un nom célèbre :
Conrad Stark (1765-env. 1830), Bartolomaüs Lämmler (1809-1865),
Bartolomaüs Thäler et son école ou encore un peintre anonyme,
passionné des inventions de l’époque, dit « le peintre des
paratonnerres » a peint les premiers bateaux à vapeur et a mis des
paratonnerres sur tous les édifices
(planche 10)…
Planche 10 : Panneau d’un lit peint par le peintre des paratonnerres
en 1825
© galerie allegri antiquités
Dans une moindre mesure, d’autres régions, dont
l’Entlebuch (Lucerne), ont également produit des meubles peints
intéressants
(planche 11). Dans l’arc alpin, le meuble peint a
suivi une évolution parallèle également très prolifique en Bavière
et an Autriche où les sujets religieux sont omniprésents.
Planche 11 : Armoire lucernoise de 1800 environ, la peinture a été
retrouvée sous une peinture grise uniforme appliquée à la fin du
XIXe siècle probablement
© galerie allegri antiquités
A la valeur artistique de ces meubles si
décoratifs, s’ajoute le « vécu » de l’objet ancien qui donne vie à
un intérieur. Les teintes, oxydées et patinées par le temps, se sont
liées en une douce harmonie, des subtiles usures dues à la lumière
et à leur usage animent les surfaces. La naïveté émouvante des
artistes transparaît, tout cela contribue au succès du véritable
meuble peint ancien. |