Poltrona Di Proust, le fauteuil de proust d'alessandro mendini
par
Catherine Auguste
ancienne élève
des Beaux-Arts de Paris
designe et décore des cabinets de curiosités |
Fauteuil Poltrona di Proust
édition du Studio Alchimia, Italie
(1979)
Alessandro Mendini est designer, architecte,
peintre et écrivain installé à Milan. Sa démarche vise à rompre avec
le design industriel qui, selon lui, devient trop impersonnel à
force d’être fonctionnel. Il prend comme base de travail du mobilier
et des objets créés par d’autres afin de les transformer par ajout
de couleurs, d’ornements ou en utilisant de nouveaux matériaux.
Poltrona di Proust, clin d’oeil littéraire par
sa référence à Proust et pictural en choisissant le divisionnisme du
peintre Signac, s’inscrit dans sa théorie du re-design et du
post-modernisme.
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Descriptif du fauteuil Proust
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- bois et tissu peints à l’acrylique,
mousse de polyuréthane,
- dimensions :106cm x 102cm x 92,5cm
- dépôt du Fonds national d’art
contemporain, 1988
C’est un fauteuil d’inspiration Régence
entièrement recouvert de touches colorées peintes à la main
(tissu et bois du chassis) selon un motif de prairie du
peintre divisionniste Paul Signac.
Poltrona di Proust existe dans des
variations de couleurs et de matériaux comme la céramique ou
le bronze.
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Genèse du fauteuil Proust
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L’histoire commence en 1976 lorsque Mendini a
l’idée de dessiner un tissu « Proust » avec Francesco Binfaré pour
Cassina. Il visite alors les lieux où vécut Proust pour s’imprégner
du monde visuel de ce dernier, pour enrichir le projet tant d’un
point de vue littéraire qu’artistique. De là il imagine un fauteuil
que Proust aurait pu utiliser : une bergère de style Régence dont il
accentue la générosité des formes, notamment le dossier et les
accoudoirs.
Pour la référence au temps artistique, Mendini
puise dans la peinture contemporaine de Proust : la peinture
divisionniste de Paul Signac qui procède par touches, par pointillés
juxtaposés de couleurs pures. C’est donc l’œil de l’observateur qui
fait le mélange des couleurs et non le peintre avec sa palette.
Mendini choisit un détail de peinture de prairie pour couvrir la
totalité du fauteuil, bois et tissu. Le fauteuil prend une forme
nébuleuse.
le pointillisme emprunté aux peintures de
Paul Signac
Le premier Poltrona di Proust sort en 1978. Il
est décoré à la main d’une peinture acrylique sur toile blanche et
bois nu. Dès 1979 le fauteuil est introduit dans le catalogue d’Alchimia.
Alchimia a produit peut-être quinze à trente
fauteuils, l’idée étant non pas de les numéroter mais de marquer la
date. Les exemplaires vendus se trouvent dans des musées (Belgique,
Pays-Bas, Allemagne, etc.), dans certaines galeries (Turin, Paris,
Milan, New-York) et chez quelques collectionneurs.
Ces exemplaires sont donc des pièces uniques du
fait des variations de couleurs et même de matériaux. Il existe en
effet des Poltrona di Proust en céramique, en laqué faux bronze et
même en bronze !
En 1989, Mendini reprend la fabrication de son
fauteuil dans son atelier suite à la constatation que certains
exemplaires produits par Alchimia souffraient de transformations
excessives du motif (coups de pinceaux et couleurs). Depuis Mendini
supervise la fabrication de chacun d’entre eux et les authentifie
par un certificat. Ainsi tout exemplaire fabriqué après 1988 qui ne
sortirait pas de l’atelier Mendini est considéré comme faux.
Certains fauteuils ont été faits sur commande
comme celui de Bob Wilson pour l’une de ses pièces de théâtre,
aujourd’hui propriété de Bob Wilson. D’autres fauteuils Proust sont
distribués par Cappellini dans une version toile imprimée ou par
Vitra pour les versions céramique, mais là il ne s’agit pas de
pièces uniques.
variantes colorées du fauteuil Proust de
Mendini édité chez Cappellini
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Démarche décorative et critique
le Re-design ou le recyclage des formes ;
pour le fauteuil Proust, Mendini emprunte le style Régence
pour l'envelopper d'un décor avec dérision |
Le contexte Alchimia
Dans l’Italie des années 1970, Alchimia, un
groupe de designers d’avant-garde dont Mendini fait partie,
développe une critique de la société de consommation et devient un
lieu d’expérimentation entre artisanat et industrie. Alchimia ouvre
sa propre galerie pour présenter ses productions en petites
quantités dont le propos consiste à présenter un design
antirationnel, qui revisite avec humour et dérision les classiques.
On fait volontiers appel aux références historiques et aux motifs
décoratifs. L’art peut être banalisé, ainsi la touche pointilliste
de Paul Signac sur un fauteuil Régence. Les membres du groupe ne
s’inscrivent pas forcément dans la nouveauté, le travail passe
souvent par le « recyclage » des formes et des décors. Le projet
devient Re-Design.
Le fauteuil de Proust et le re-design
Convaincu que le modernisme s’achève, qu’il n’y
a plus de forme innovante à inventer, Mendini, membre d’Alchimia,
re-designe des classiques reconnaissables. Poltrona di Proust
s’inscrit parfaitement dans cette intention : il s’agit d’un
fauteuil maquillé, un objet élaboré sur des bases culturelles, la
forme inspirée des fauteuils Régence, mais faux. Faux pour deux
raisons : les formes Régence sont exagérées et le fauteuil est
entièrement décoré d’un motif peint à la main qui n’a rien à voir
avec le XVIIIe siècle. Le re-design de Mendini produit
ici une pièce kitsch qui dépasse le simple emprunt.
D’autre part Mendini cherche à démontrer que la
teneur du design peut provenir d’un décor appliqué. Noyant la forme
sous une juxtaposition de coups de pinceaux, il élabore un objet qui
semble être irréel. Mais s’agit-il encore d’un fauteuil pour
s’asseoir ?
Est-ce encore un fauteuil ?
Mendini s’inscrit dans une démarche critique du
design en revisitant des formes anciennes. De même il rompt avec le
modernisme en usant de proposition décorative : les coups de
pinceaux couvrent la totalité du fauteuil, la couleur ainsi
appliquée ravive les objets.
La critique de Mendini contre le design reste
joyeuse, colorée ; il propose l’embellissement d’objets classiques
ou du quotidien. Comme le fauteuil Proust qui est un emprunt du
style Régence, Mendini recrée la chaise Wassily de Marcel Breuer ou
la chaise Universale de Joe Colombo, objets de design cette fois-ci
contemporain.
Mais une série de questions se pose :
Est-ce encore un fauteuil ?
Le fauteuil Proust supporte de nombreuses
variations de coloris et de matériaux depuis sa création (ou sa
re-création). Certains exemplaires ont été fabriqués en céramique et
même en bronze ! Le fauteuil prend alors des allures d’objet culte
tel un trône royal. D’ailleurs est-il encore un fauteuil dans le
sens de la fonctionnalité, peut-il être utilisé en tant que siège ?
N’est-il pas devenu tout simplement une silhouette propice à tous
les effets : silhouette à peinture, à céramique…
Peut-on s’asseoir sur une peinture, une peinture qui plus est se
revendique d’un peintre de chevalet, Paul Signac ? Par ce fauteuil,
Mendini s’attaque aux principes du fonctionnalisme, cher au Bauhaus,
à savoir un objet conçu de manière objective eu égard à l’emploi
auquel on le destine. Il dit lui-même : « Pour ce projet, j’ai
élaboré des motifs pointillistes dans le but de créer des objets,
des architectures et des peintures qui sont faits de particules et
semblent être irréels, un peu comme des mirages appropriés pour des
ambiances méditatives et immatérielles. ». « Irréels », « mirages »,
« immatérielles » sont explicites de sa démarche. Il cherche une
ambiance propre à la méditation mais pas un fauteuil qui amènerait à
la méditation du fait de son confort. Le concept est plus fort que
la fonctionnalité.
Et la peinture est-elle encore un art majeur ?
Le motif pointilliste de Signac envahit la
structure et le tissu sans distinction. Le détail de la prairie de
Signac emprunté par Mendini joue le rôle d’une simple ornementation.
La peinture, pourtant considéré comme un art majeur se trouve
contrainte au service des arts appliqués, à savoir le mobilier.
Rupture, refus, ironie sont les marques du
fauteuil Proust. Dans ce contexte il n’est pas surprenant qu’il
devint célèbre allant jusqu’à être figé de bronze telle une
sculpture monumentale.
détail du fauteuil : le motif envahit la
structure et le tissu sans limite
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Biographie
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Né à Milan en 1931.
En 1959, il termine son doctorat d’architecture
à l’École polytechnique de Milan.
Il devient partisan d’un design dégagé de toute
pression industrielle et soutient sa théorie post-moderne dans les
revues qu’il dirigera : Casabella (1970-1976), Modo (1977-1981) et
Domus (1979-1985).
En 1973, il est co-fondateur de la contre-école
de design Global Tools qui critique le design italien ; il est
précurseur du groupe Alchimia.
Fin des années 70, Mendini collabore avec le
Studio Alchimia et devient célèbre pour ses concepts de Re-Design
dont l’objectif est de détourner les grands classiques du design par
l’utilisation d’ornements et de couleurs vives ; il démontre ainsi
l’impersonnalité des produits fabriqués en série. Poltrona di Proust
(1978) est l’illustration de ce courant.
Il est directeur artistique des montres Swatch.
En 1979, il remporte la plus haute distinction
du Compas d’Or.
Depuis les années 80, il est conseiller auprès
de la firme Alessi.
En 1989, il ouvre avec son frère Francesco
l’Atelier Mendini où une vingtaine d’architectes,
graphistes-designers et designers industriels travaillent. Il
s’intéresse aux objets, mobilier, conception d’intérieur et
d’architecture. Parmi ses références : la nouvelle piscine olympique
de Trieste, le musée Groninger aux Pays-Bas, la Résidence d’Alessi,
une tour commémorative à Hiroshima, des stations du métro de Naples,
l’immeuble du groupe de presse Madsack à Hanovre, etc.
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Le questionnaire de Marcel Proust
Proust découvre ce test de personnalité
dans l’ouvrage anglais “An album to record thoughts,
feelings, etc.” qu'il modifie. Voici les
réponses faites par Mendini
Le principal trait de mon caractère :
La bonne volonté
La qualité que je désire chez un homme : La complexité
La qualité que je désire chez une femme : La complexité
Ce que j’apprécie le plus chez mes amis : La sensibilité, la
gentillesse
Mon principal défaut : Le narcissisme
Mon occupation préférée : Penser
Mon rêve de bonheur : Ne pas penser
Quel serait mon plus grand malheur : La fin du monde
Ce que j’aimerais être : Un saint
Le pays où j’aimerais vivre : Où je vis
Ma couleur préférée : Le rose
La fleur que j’aime : La rose
Mon oiseau préféré : Le pic
Mes auteurs favoris : Nietzsche
Mes poètes favoris : Tangore
Mes héros dans la fiction : Mickey Mouse
Mes héroïnes dans la fiction : Alice
Mes compositeurs préférés : Schubert
Mes artistes favoris : Savinio
Mes héros dans la vie réelle : Gregory Peck
Mes héroïnes dans l’histoire : La reine Victoria
d’Angleterre
Mes noms favoris : Le nom des Apôtres
Ce que je déteste le plus : La violence
Personnages historiques que je déteste le plus : Les
dictateurs
Le fait militaire que j’admire le plus : Aucun
La réforme que j’apprécie le plus : Le bouddhisme
Le don de la nature que je voudrais avoir : L’ubiquité
Comment j’aimerais mourir : Dans mon lit
Mon état d’esprit présent : Légèrement anxieux
Les fautes qui m’inspirent le plus d’indulgence : Toutes
Ma devise : L’incertitude
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Quelques variantes de Poltrona di Proust
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Liens
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