Trompe l'oeil : les faux marbres, l'exemple du vert de guatemala

catherine auguste
par
Catherine Auguste
ancienne élève de l'école supérieure des Beaux-Arts de Paris
designe et décore des cabinets de curiosités

série de marbres en trompe l'oeil
©catherine auguste

On distingue deux « écoles » du faux marbre :

Les Italiens, maîtres du décor d’illusion depuis l’Antiquité – nous gardons à l’esprit les décors muraux de Pompéi et d’Herculanum –, cherchent davantage à faire du « théâtre » plutôt qu’une copie réaliste des matières. On n’imite pas une pierre en particulier mais un genre de pierres. Bien qu’il s’agisse d’une œuvre de création « imaginaire », on comprend aisément qu’une bonne connaissance des pierres et de leur structure géologique est nécessaire au risque d’offrir à l’œil une interprétation illisible.
Pour les Français, les Belges et les Anglais, la technique est à l’opposé, on imite de façon précise la matière. On fait des reglaçages successifs, on s’inspire du réel. On travaille dans les profondeurs et les détails car bien souvent on a cherché à remplacer un matériau cher par une peinture réaliste. On peut parler véritablement de trompe l’œil.

 

Une définition du marbre

 

Le terme marbre désigne les roches métamorphiques dérivant de roches calcaires à grains fins, faites de carbonate de chaux cristallisé, avec lesquelles on peut réaliser un beau poli.

Le marbre est blanc à l’état pur. Deux raisons produisent les diverses variétés de marbre que nous connaissons :
- les oxydations métalliques et les décompositions végétales révèlent les teintes,
- les processus de métamorphose comme l’élévation de température et la pression dessinent les motifs (veines, cailloux…).

En général les marbres les plus recherchés et les plus colorés proviennent du Sud de l’Europe (France, Italie surtout), du Nord de l’Afrique, de la Californie et du Brésil.

 

Les classifications du marbre

 

Voici trois catégories de marbre construites en fonction d’éléments visuels.

1/ Les marbres veinés

Le fond est généralement monochrome lacéré d’un veinage subtil de couleur opposée au fond. Ce sont des marbres qui se sont fendillés sous l’effet de la pression. Les fentes se sont remplies de sédiments organiques et minéraux qui donnent la couleur.
Parmi les marbres veinés on distingue :
- le Blanc de Carrare : la provenance n’est pas nécessairement de cette ville mais il garde encore aujourd’hui le nom de la carrière d’origine. Les veines grises bleutées se noient dans un fond blanc.
- le vert de mer très répandu dans le bassin méditerranéen présente un veinage serré vert blanchâtre sur un fond noirâtre. Sa couleur s’explique par la décomposition de matières végétales. Il est utilisé depuis l’Antiquité et se marie harmonieusement avec tous les marbres.
- Le jaune de Sienne est composé de deux tons principaux : un fond jaune clair veiné d’orangé.

2/ Les marbres bréchés (ou brèches)

Ils sont formés de fragments anguleux, épars et soudés de façon aléatoire. Il s’agit de débris de marbre ou d’autres roches. Les interstices entre les fragments sont de largeur variable. Ils se présentent comme un éclatement de cailloux plus ou moins petits.

Les plus répandus sont :
- Le Grand Antique au bréchage éparpillé et très anguleux qui oppose le noir et le blanc.
- La Brèche violette est faite de fragments allongés souvent disposés en lignes parallèles : des cailloux lie-de-vin, blanchâtres ou jaunâtres sur un ciment sombre. Il est très chargé, on le voit souvent en colonnes, plinthes ou pilastres.
- Le Portor est en réalité un marbre veiné mais du fait d’une prédominance de brèches rondes certains le classent dans cette catégorie. Sur un fond noir nuancé des veines dorées s’enroulent en délimitant des cailloux ronds. C’est un des plus décoratifs.

On parle souvent des grandes brèches (Grand Antique, Brèche Violette, Sarrancolin…) aux grandes masses plus ou moins anguleuses sur un ciment contrastant mais il y a les petites brèches où les cailloux sont de petites tailles parfois minuscules. Leur emploi est moins heurtant (brèche verte antique, brèche caroline). Les brocatelles sont elles composées de cailloux encore plus petits, plus anguleux et serrés les uns contre les autres : la brocatelle violette, le jaune d’Espagne.

3/ Les marbres nuageux

Ces derniers sont constitués de fragments en forme de nuages ou d’anneaux et parsemés d’une profusion de petites veines gris-blanc désordonnées. Le Cerfontaine, le rouge royal ou le Rance, tous originaires du Nord et de la Belgique en sont des exemples.
Le plus éclatant est sans doute le rouge Languedoc : son fond rouge-orangé parsemé de nuages blancs orne le Grand Trianon de Versailles.

 

Réaliser un faux-marbre : les erreurs de veinage et de brechage

 

1/ La structure du veinage : défauts et qualités

a/ Bien tenir le pinceau
On obtient de meilleurs résultats dans le tracé des veines en tenant le pinceau par le bout du manche. Cette « mauvaise prise » assure un tracé à la fois plus incertain et plus souple qu’en le tenant à la virole. On travaille du haut vers le bas en usant toute la charge du pinceau avant de reprendre de la couleur.

b/ Comment tracer une veine

les veines du marbre
(1) le tracé de la veine est trop sinueux et poursuit une ligne droite imaginaire sans rupture, l’épaisseur du trait est monotone, de même la veine s’arrête brutalement sans s’effiler. Pas bon !
(2) ce tracé rectiligne sans variation d’épaisseur de trait est peu réaliste.
(3) cette veine réaliste, réalisée avec le même petit pinceau que dans les cas précédents, s’allonge irrégulièrement en épaisseur , le trait est incertain et se poursuit par des ruptures en escalier ; de même la densité de matière varie. Par cette façon de procéder, on comprend comment les fortes pressions exercées ont fendillé le marbre de façon aléatoire. Voilà ce qu'il faut faire.

c/ Comment constituer un réseau

réseau de veines de marbre
Ici un mauvais exemple : les veines ont d’une part un tracé trop sinueux et d’autre part sont trop parallèles entre elles. L’exemple montre deux réseaux de veines dus à deux pressions successives subies par le marbre ; ces deux réseaux se coupent trop en angle droit. Autres reproches, cette fois-ci dans le modelé des veines : pas assez de variations de traits, des épaisseurs trop semblables. Il se dégage une certaine mollesse peu conforme à ce qui s’est passé dans le sol.

mauvais réseau de veines pour un faux marbre
Un autre mauvais exemple : le croisement des veines de plusieurs réseaux en étoile est irréaliste et bien qu’un faux marbre puisse être conçu comme une interprétation, la croix nous fait penser plus à un carrefour de routes vues du ciel qu’à des lignes issues d’un bouleversement géologique. A nouveau, remarquez le tracé mou et improbable des veines.

exemple d'un réseau de veines d'un marbre blanc de carrare
Un bon exemple proche des marbres blancs veinés de Carrare : le réseau principal (et vertical) des veines est constitué de veines plus ou moins parallèles, accidentées de nombreux crochetages ou d’escaliers. Un deuxième réseau de veines plus petites, plus atténuées (ici, inclinées Nord-Ouest/ Sud-Est) marque l’effet d’une pression postérieure ; ces dernières coupent les premières veines selon un angle ouvert (ici, inclinaison nord-ouest/ sud-est). Remarquez comme l’épaisseur et l’intensité des veines sont variables ; les fentes qui se sont faites dans la roche se sont remplies de dépôts minéraux et organiques donnant des couleurs et des épaisseurs variables.

2/ La structure des brèches et des cailloux

mauvais exemple de cailloux de marbre
Les cailloux et les brèches résultent de la soudure aléatoire de fragments de marbre, ce qui fait que leurs formes et leurs tailles sont variables. Ici, les cailloux sont trop arrondis, sont espacés régulièrement et suivent tous une même direction ce qui est tout à fait improbable étant donné la façon dont ils se sont formés. Pas bon.

des cailloux de marbre trop espacés
Les cailloux sont mieux formés, plus anguleux et leur taille varie mais l’erreur réside dans le fait qu’ils semblent nager littéralement.
A éviter.

un bon exemple de bréchage pour un faux marbre
Un bon exemple de bréchage : on devine une direction générale, les cailloux sont fragmentés de façon réaliste comme les morceaux d’une porcelaine cassée, les formes effilées, anguleuses se côtoient ; les tailles sont multiples.

 

Quelques méthodes de préparation : un vocabulaire

 

Blaireau et blaireautage

Le blaireau est un pinceau en poils de blaireau qui sert à adoucir une imitation. L’opération s’appelle le blaireautage.

Brécheur et brécher

A l’aide d’un pinceau appelé brécheur à bout pointu, on réalise un graphisme de gros, moyens ou petits cailloux. Dans les petites brèches, les cailloux varient du grain à des masses de 4-5 cm. Dans les grandes brèches, les cailloux peuvent être énormes et très anguleux. Il existe aussi des brécheurs deux-mèches ou trois-mèches. Les fragments sont les espaces vides entre les traces laissées par le brécheur.

Cailloux et caillouter

Ce sont les pierres plus ou moins grosses qui constituent certains marbres. Caillouter, c’est les peindre. On peut utiliser un pinceau plat pour les réaliser.

Chiquetage et chiqueter

Les marbres chiquetés sont composés de petits grains. Chiqueter c’est garnir une surface de petits points à l’aide d’un chiqueteur. Le chiqueteur est un pinceau rond et plat en son sommet, utilisé surtout dans la peinture décorative à l’huile. On peut également chiqueter avec une éponge naturelle.

Eponge et éponger

Généralement avec une éponge naturelle, on éponge pour faire des enlevés sur un glacis (ou des dépouillés) ou des chiquetés (ou des rajouts) plus ou moins importants.

Glacis et glaçage

C’est une peinture peu ou pas chargée en teinte pour permettre la transparence des fonds.

Gicler ou spiter

C’est effectuer des projections fines de peinture ou de glacis. Cette opération peut se faire avec une brosse à dents. Ecrasez les poils de bas en haut de la brosse dirigée vers la surface à peindre. Plus la brosse est située loin de la surface, plus les projections seront grosses et espacées. De même moins vous pressez sur la brosse, plus les spits seront petits et rares.

Refend

C’est une cassure qui s’organise dans le sens différent du graphisme général. Les refends résultent d’un dernier glissement du marbre. Souvent en peinture blanchâtre.

Rehausser

Donner plus d’importance ou d’éclat.

Veiner et veinage

C’est peindre les veines d’un marbre (ou d’un bois) en imitation.

 

Mise en place d’un faux-marbre en technique acrylique

 

Dans les deux cas, le fond doit être bien préparé car le marbre utilisé en décoration est poli. C’est une surface lisse à l’œil et au toucher, le faux marbre doit rendre cet effet. Une fois que le fond est prêt, couvrez d’une laque d’impression blanche qui fera office de bouche-pore et permettra l’accroche des glacis et des peintures. Poncez cette couche à sec et dépoussiérez.

1/ La technique à l’eau, le choix de l’acrylique

L’acrylique est un système à l’eau dont les avantages et/ou les inconvénients sont :

- un séchage rapide qui limite les attentes entre chaque étape mais demande une rapidité d’exécution,
- une peinture irréversible et donc stable (pas besoin de fixage d’une couche à l’autre),
- la possibilité de faire des glacis,
- une peinture non jaunissante.

2/ Le glacis

La peinture est composée de trois éléments :

- le pigment d’origine animale, végétale ou minérale,
- le liant qui sert en quelque sorte de base « collante » des pigments, il sèche ou s’oxyde et donne la qualité et le rendu final (huile de lin pour la peinture à l’huile, résine polymère pour l’acrylique),
- le diluant (eau pour l’acrylique, térébenthine pour peinture à l’huile…) qui permet de modifier la dilution et qui en séchant s’évapore.

Le glacis est la base du travail décoratif des faux marbres. Un glacis est un liquide transparent coloré. On passe deux couches de glacis et cela crée une nouvelle couleur. C’est la qualité de transparence qui fait que la lumière traverse les couches picturales et donne ainsi profondeur et lumière.

Le principe de préparation :
1 volume médium acrylique (liant) + 1 ou 2 volumes d’eau + 1 (+ ou - selon le résultat souhaité) volume de colorant, ici la peinture en tube.

Si on se contente de mélanger de l’eau à la peinture, la couche est fragile car elle manque de liant.
Si elle sèche trop vite, il existe un retardateur que l’on ajoute au glacis ou à la peinture dans de faible proportion (10 % environ).

3/ Un exemple : le vert de Guatemala

Ce marbre appelé vert de Guatemala a été réalisé dans une démarche « italienne » car la quantité de petites veines empêcherait une interprétation trop réaliste.

Poncer légèrement la laque satinée blanche.

Passer un fond uni vert pâle (olive) à la brosse carrée avec du bleu outremer + ocre jaune + une pointe de noir + blanc. Laisser sécher.

Chiqueter légèrement sur l’ensemble à l’éponge une teinte claire du vert précédent + blanc.

Faire un léger chiquetage plus foncé (noir + ocre jaune + une pointe de blanc).

Placer de gros cailloux foncés et clairs.

Veiner au blanc légèrement gris puis blaireauter pour atténuer les lignes. Sur les cailloux placer quelques fines veines d’ocre jaune + blanc. Terminer par un autre système de veines foncées.

A la brosse carrée faire quelques traînées d’un jus léger noir + ocre jaune.

Faire quelques chiquetages de blanc jaunâtre sur certains cailloux clairs. Laisser sécher.

Glacer d’un jus de Terre de Sienne sur l’ensemble. Spiter un ton sombre à certains endroits.

Reprendre les veines principales avec du blanc.

 marbre vert de guatemala
Le marbre vert de Guatemala, un marbre veiné (ci-dessus, le vrai !)
On distingue aisément la direction principale des veines blanches, quelques cailloux sombres résultant de dépôts organiques ainsi qu’un petit réseau de veines sombres plus ou moins perpendiculaires aux veines blanches.

faux marbre vert de guatemala
Ici le faux : on voit la couleur de fond uni, les chiquetages vert foncé et clair réalisés à l’éponge. La veine blanche a été travaillée en plusieurs couches afin de rendre sa profondeur. On insiste par un deuxième passage clair en certains endroits de la veine.

réalisation des cailloux d'un marbre vert
Les cailloux sont peints à la brosse carrée pour forme des arêtes nettes. Dans ce marbre un réseau de petites veines claires a fissuré dans un deuxième temps les cailloux et certains endroits de la surface. Il faut en dessiner quelques-unes pour donner une profondeur supplémentaire au marbre.

réalisation des veines d'un marbre vert
Pour simplifier la réalisation du deuxième réseau de veines foncées et fines du vrai vert de Guatemala, il suffit de laisser des traces à la brosse en les arrêtant nettes sur la veine blanche.

aspect final d'un marbre vert de guatemala en trompe l'oeil
Les opérations visibles du faux marbre : le veinage blanc, les cailloux, le deuxième réseau de veines foncées traité à la brosse.

 

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