Charles Rennie Mackintosh (1868-1927), architecte et designer
par
Catherine Auguste
ancienne élève
des Beaux-Arts de Paris
designe et décore des cabinets de curiosités |
Charles Rennie Mackintosh
A la fin du XIXe siècle, l’Art Nouveau est à
son apogée partout en Europe. Face aux exubérances décoratives
notamment de l’Art Nouveau belge et français, certains pays ou
groupes de créateurs réagissent et tendent à développer des formes
plus géométriques à Vienne (Secession), Munich (Bauhaus) ou Glasgow.
Francis H. Newbury, directeur de la Glasgow School of Art, encourage
les étudiants à rechercher une création libre de style libre avant
même l’ouverture du Bauhaus. Charles Rennie Mackintosh (1868-1928),
alors apprenti dans l’agence d’architecture Hutchinson à Glasgow, y
suit les cours du soir et s’imprègne de ces nouveaux courants de
pensée où les formes décoratives sont conçues sans présupposé
stylistique. Il se distingue alors comme architecte,
architecte d’intérieur, designer de mobilier et créateur d’objets
décoratifs. Bien que nous le connaissions surtout pour son mobilier,
certaines de ses chaises sont aujourd’hui des icônes, Mackintosh fut
avant tout un architecte. Il considérait d’ailleurs l’architecture
comme la discipline suprême, seule capable de rassembler tous les
arts. Il laisse en héritage une vision organique et humaniste du
projet architectural : masses, lumières, espace, mobilier doivent
être appréhendés comme un organisme vivant, une unité parfaite. |
Naissance d’un précurseur du post-modernisme
Chaise à haut dossier
percé d’une découpe en ovale créée pour le salon de thé
d’Argyle Street à Glasgow.
Mackintosh réalisa tout le mobilier du salon de Catherine
Cranston. Il était en chêne massif dans la tradition du
mouvement Arts & Crafts et la chaise était destinée à la
salle à manger. Le haut dossier est un élément récurrent du
mobilier de Mackintosh, il a une fonction de partition de
l’espace et donc isole les clients dos à dos. |
Deuxième fils d’une famille nombreuse,
Charles Rennie Mackintosh naît, grandit et vit la plus
grande partie de sa vie à Glasgow. Il tire un sens profond
de la nature de sa vie au grand air encouragé par un père
passionné de jardinage et les recommandations du médecin de
famille. L’enfant maladif souffre d’une malformation du pied
qui le fait boiter, de même qu’un refroidissement musculaire
lui laisse une paupière tombante. On peut imaginer que ses
promenades salvatrices lui font apprécier le patrimoine
culturel, l’architecture et développent son esthétique
organique.
Il décide très tôt de devenir apprenti
architecte à l’agence de John Hutchinson tout en suivant les
cours de la Glasgow School of Art. Charles Rennie Mackintosh
remporte de nombreux prix de dessin, peinture et
architecture dont une bourse qui lui permet un voyage en
Italie et en Europe en 1891. Ses carnets de voyage
témoignent d’un goût prononcé pour les styles roman et
gothique contrairement à ses semblables du continent touchés
par le néo-classicisme.
Profondément attaché à son pays, voire
même nationaliste, Mackintosh considère que le style féodal
écossais, non perverti par le néo-classicisme, manifeste la
plus grande souplesse à la construction et au décor. A cette
époque de transition entre l’ère victorienne, surabondante
en décor, et l’ère moderne trop fonctionnaliste, Charles
Rennie Mackintosh devient un pionnier du post-modernisme en
se tenant à l’écart des grands courants stylistiques de son
temps.
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Les influences et le symbolisme
Rose et larme, projet
de motifs de textiles. Mackintosh a dessiné des tissus,
fabriqués à la main pour des projets d’architecture comme
Hill House et l’un des salons de thé de Catherine Cranston à
Glasgow. Il a également travaillé pour les firmes anglaises
d'étoffes Foxton’s et Sefton’s.
La rose chère à Mackintosh participe à un projet de textiles
mais on la retrouve sur les décors muraux et le mobilier. |
Les liens qu’il entretient avec les différents
courants de son temps sont assez ténus. Il refuse l’ornement Art
Nouveau quand il conduit à des fins purement décoratives, il ne
défend pas l’artisanat prôné par le mouvement Arts & Crafts, ni le
fonctionnalisme pur et dur, ni les dérives technologiques des
modernes.
La liberté d’expression de Mackintosh trouve
sans doute ses racines dans la philosophie de Francis H. Newbury,
directeur de la Glasgow School of Art où il s’est formé. Ce dernier
engageait les étudiants vers une création libre de tout style.
Bien que l’œuvre de Mackintosh dégage une
liberté de style, des influences sont perceptibles, la plus
dominante étant le japonisme. A la fin du XIXe siècle Glasgow
entretenait des relations commerciales privilégiées avec le Japon. A
la même époque Christopher Dresser, décorateur né à Glasgow, avait
donné des conférences sur l’art japonais. Mackintosh a certainement
bénéficié de tous ces apports. A bien examiner ses projets on
distingue les qualités fonctionnelles et les espaces fluides de
l’architecture japonaise organisés selon le principe des partitions
(Shinkabe) : des écrans ou des éléments de bois peint utilisés pour
diviser l’espace.
Le goût pour la sobriété, la pureté et
l’équilibre le rapproche de l’art japonais tant dans ses
architectures intérieures que dans son mobilier. Ses chaises sont
conçues avec de hauts dossiers qui descendent jusqu’au sol comme
s’ils gagnaient une fonction de cloison.
Au-delà des masses qu’il organise dans un désir
d’unité parfaite, Charles Rennie Mackintosh puise dans un répertoire
limité de motifs. On remarque l’inspiration de motifs héraldiques
japonais (Mon) dans les décors de grille de la Glasgow School of
Art, la stylisation d’arbres auxquels l’art celtique vouait un culte
majeur qu’il appréciait. Et surtout la rose, signifiant amour et
source de vie, restera le motif le plus récurrent de son travail.
Comme pour ses architectures intérieures ou son
mobilier, Mackintosh ne supporte aucun superflu dans la décoration
comme le choix des couleurs qui reste limité. Il tend vers un
langage symbolique à contenu spirituel.
Buffet conçu pour le
salon de la famille Rowat à Glasgow en 1901-1902. La rose
chère à Mackintosh est portée par des figures féminines sur les
vantaux intérieurs. On y
retrouve les couleurs de Mackintosh : laque blanche et
ponctuation mauve. On devine l’influence de Margaret, la
femme de Mackintosh par le côté féminin du motif intérieur
réalisé sur feuille d’argent. Margaret avait suivi les cours
de la Glasgow School of Art où elle rencontra Mackintosh. Ce
buffet a également trouvé place dans la maison des
Mackintosh.
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The Four et la période florissante de Glasgow
Le 6 Florentine Terrace fut la maison
d’habitation des Mackintosh
de 1906 à 1914. Ils remanièrent complètement l’intérieur.
Le rez-de-chaussée fut tapissé de papier marron décoré de
motifs de
treillage et de roses. L’étage contraste par sa luminosité.
Ici l’atelier baigne dans la clarté, l’espace évoque la
pureté des intérieurs japonais. |
Sous l’impulsion de F. H. Newbury,
Mackintosh va travailler en étroite collaboration avec
MacNair et les sœurs Macdonald dont Margaret deviendra sa
femme. Ils constituent le groupe des 4 (les 4 de Glasgow).
Imprégné des estampes japonaises et du romantisme du Moyen
Age, le groupe surprend par la bizarrerie de sa production :
des intérieurs éthérés, à peine meublés et ornés de motifs à
forte symbolique. Ils sont invités à la 8e exposition de la
Sécession viennoise où leur pièce écossaise remporte un
grand triomphe. On y voit le germe d’un nouveau langage des
formes. Certains éléments seront à l’origine des œuvres
tardives de la Sécession comme les surfaces peintes en
blanc, les quadrillages de bois.
La période de 1896 à 1906 représente
l’activité la plus intense dans la vie de Mackintosh :
architecture de maisons particulières et d’édifices publics,
conception de plus de quatre cents objets de la chaise à la
petite cuiller. C’est pour Catherine Cranston qu’il va créer
le mobilier que nous connaissons le mieux aujourd’hui. Elle
lui confie avec une grande liberté l’agencement intérieur,
le décor et le design de mobilier de ses quatre salons de
thé de Glasgow très à la mode. La chaise à haut dossier avec
la découpe ovale, la chaise à dossier courbe en petits bois
et la chaise échelle, icônes aujourd’hui, ont été élaborées
pour ces salons.
Les décors restent limités et participent à la
beauté de l’ensemble. Leurs contours inspirés de la nature sont
toujours stylisés donnant des formes presqu’abstraites, les motifs
géométriques reviennent souvent et se déclinent essentiellement en
cercle et carré. Ils symbolisent le corps et l’esprit selon Carl
Jung dont Mackintosh connaissait les écrits.
La Glasgow School of Art, dont il conçut
l’architecture et l’intérieur, est considérée comme son chef
d’œuvre. Son achèvement marque à la fois son apogée architecturale
et son déclin. Son caractère difficile, son goût pour la boisson et
le peu d’importance qu’il accordait aux contraintes financières et
aux délais finirent par lui coûter cher. A la vieille de la première
guerre mondiale il démissionna de son agence en quasi faillite. Sa
carrière à Glasgow était achevée, il avait perdu ses illusions d’un
renouveau architectural écossais. Après quelques années « d’exil » à
Londres et en France, Charles Rennie Mackintosh meurt en 1928 d’un
cancer de la langue.
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Le mobilier de Mackintosh
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Selon Mackintosh, le mobilier participe à
l’unité de la pièce. Ainsi il ne cherche pas à priori une virtuosité
technique ni une fonctionnalité évidente du mobilier. La devise de
Mackintosh empruntée à une citation de J.D. Sedding résume bien son
rapport à la perfection : « Il y a davantage d’espoir dans l’erreur
sincère que dans la perfection glacée du virtuose ». De l’ensemble
doit transpirer une certaine idée de beauté.
Le mobilier que nous connaissons le plus a été
élaboré dans le cadre d’agencement intérieur : les salons de thé de
Catherine Cranston, la Maison d’un Amateur d’Art , Hill House, ses
appartements privés… Il est donc imaginé pour participer à cette
unité d’ensemble qui lui est cher, sans s’imposer individuellement.
Ainsi Mackintosh dessine-t-il des meubles aux lignes
simples, dépouillé des rembourrages et d’une prolifération de
détails chers à l’ère victorienne, celle de son temps. Du bois
laissé naturel au début de sa carrière, le mobilier devient laqué
blanc ponctué de quelques touches mauves, vertes ou argent pour le
motif. Le mobilier ainsi laqué finit par ne plus se démarquer des
murs blancs, l’espace devient immatériel. Mackintosh rompt
totalement avec le style surchargé de son temps.
Ses chaises à haut dossier semblent figurer des
trônes, une trace symbolique chère à Mackintosh. Nous pourrions
également y voir son goût pour le système des partitions de
l’architecture intérieure japonaise car ce haut dossier nous sépare
délicatement de notre voisin. Pour l’un des salons de thé de
Catherine Cranston, il a inventé la chaise à dossier cintré en
treillis. Nous sommes enrobés et le treillis laisse une légèreté à
l’objet.
On pourrait ne voir dans son mobilier qu’une
apparence squelettique, verticale, droite et rigide comparativement
aux formes arrondies, accueillantes et rembourrées de son temps mais
il conviendrait davantage de comprendre ses lignes verticales comme
une solution à la partition de l’espace, une expression de sa
qualité d’architecte.
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Cette chaise à haut
dossier a été décorée au pochoir d’un motif de rose.
Mackintosh la réalisa pour le « Rose Boudoir » à l’occasion
de l’Exposition Internationale de l’Art Décoratif de Turin
en 1902. On la retrouve à Hill House, maison construite par
Mackintosh pour Walter Blackie. |
Cette chaise à haut
dossier a été conçue en 1900 pour le salon des Mackintosh à
Glasgow. Ce début de siècle marque une étape décisive dans
le travail de Mackintosh par l'introduction de
couleurs claires. Le dossier haut allongé jusqu’au sol
est pensé comme une cloison à claire-voie. |
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En conclusion : une synthèse entre le beau et l’utile
La chambre à coucher principale de Hill House
(1902-1903), la plus grande et la plus raffinée des villas conçues par
Mackintosh. Le blanc et le mauve pour des motifs stylisés de rose peints au
pochoir sur les murs. |
Charles Rennie Mackintosh croyait en l’unité
organique totale à savoir qu’une architecture et l’ensemble de ses
éléments (lignes, masses, agencement intérieur, mobilier, décor,
etc.) devaient être une synthèse harmonieuse entre le beau et
l’utile, entre la modernité et la tradition.
Il y a une dimension spirituelle dans le
travail de Mackintosh comme nous l’avons déjà appréhendé dans la
symbolique de ses motifs décoratifs. Il attachait une attention
particulière à ce que rien ne fut superflu car l’artifice aurait
entaché la beauté d’ensemble. Fidèle à la conception d’un projet
comme un organisme vivant ; il laisse en quelque sorte une vision
humaniste de l’œuvre. Ses points de vue lui donnèrent ses premiers
succès, ses influences sur le continent au sein du groupe de
Sécession mais lui valurent aussi ses échecs. Mackintosh, par
nationalisme écossais et par obstination, ne voulut jamais émigrer.
Il n’obtint pas la reconnaissance tant recherchée à Glasgow,
peut-être trop réticente ou trop provinciale pour accepter cette
originalité.
Pour ce qui nous intéresse le plus ici, à
savoir son mobilier, il nous apparaît toujours élégant par l’usage
des lignes verticales (une aspiration au spirituel ?), raffiné par
l’emploi de décors légers comme la rose ou le treillis ajouré. La
couleur n’est jamais envahissante, ni les tons colorés imposants. Le
mobilier est structuré de lignes droites qui jouent le plein et le
vide. Encore un équilibre des contraires !
Mackintosh pensait que l’inspiration
personnelle conduirait plus sûrement à la beauté que la recherche de
l’universel. Il avait une attention particulière pour l’aspect
spirituel de son œuvre.
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Biographie
Détail de
la “Room de Luxe” du Willow Tea Rooms de Catherine Cranston
à Glasgow |
1868
Naissance de Charles Rennie Mackintosh le 7 juin à Glasgow
1884
Apprentissage à l’agence d’architecture de John Hutchinson
et cours du soir en peinture et dessin à la Glasgow School
of Art
1889
Entre à l’agence d’architecture Honeyman & Keppie à Glasgow
1890
Redclyffe, première commande de bâtiment par son oncle
Hamilton
1891
Voyage en Europe
Rencontre des sœurs Frances et Margaret Macdonald à la
Glasgow School of Art
1893
Commence le projet du Glasgow Herald achevé en 1895
1894
Plan du Queen Margaret’s Medical College achevé en 1896
Forme The Glasgow Four (Les Quatre de Glasgow avec les sœurs
Macdonald et Herbert MacNair
1895
Plan de la Martyr’s Public School achevée en 1896
1896
Décorations au pochoir pour le Buchanan Street Tea Rooms
Les Quatre de Glasgow exposent la Arts & Crafts Society
1897
Commence les travaux de la Glasgow School of Art
Dessine les meubles du Argyle Street Tea Rooms
1898
Première commande de l’étranger, une salle à manger pour H. Bruckmann à Munich
1899
Dessine la villa Windyhill pour la famille Davidson
Réalise la décoration de son appartement du 120 Mains Street
1900
Mariage avec Margaret Macdonald
Dessine la décoration et le mobilier d’Ingram Street Tea
Rooms
Participe à la 8e Exposition de la Sécession à
Vienne
1901
intérieurs de la maison du 14 Kingsborough Gardens pour Mrs
Rowat
1902
Salon de musique pour Fritz Wärndorfer à Vienne
Conçoit la villa Hill House pour Walter Blackie
1903
Décore le Willow Tea Rooms
Exposition à Moscou et à Dresde d’une chambre à coucher
1904
Associé de l’agence Honeyman & Keppie
Décoration intérieure de la maison Hous’hill de Catherine
Cranston et John Cochrane
Conçoit la villa Auchenibert pour F.J. Shand
1905
Salle à manger pour A.S. Ball à Berlin
1906
Nouvelle salle du conseil de la Glasgow School of Art
Poursuit la seconde phase de construction de la Glasgow
School of Art
Dessine la cuisine hollandaise pour le Argyle Street Tea
Rooms
Conçoit la villa Mosside pour H.B. Collins
Membre du Royal Institute of British Architects
1907
Dessine la Salle en chêne pour le Ingram Street Tea Rooms
1911
Dessine la Salle du cloître et le Salon chinois pour
l’Ingram Street Tea Rooms
1913
Démissionne de l’agence Honeyman & Keppie
1915
Le couple Mackintosh s’installe à Londres
1916
Dessine des tissus pour des firmes londoniennes
Décoration intérieure de la villa de W.J. Bassett-Lowke à
Northampton
1917-1920
Quelques projets d’immeubles ou de décoration de salle non
réalisés
1923
Le couple Mackintosh s’installe dans le Sud de la France et
s’investit dans la peinture
1927
Retour à Londres
1928
Charles Rennie Mackintosh meurt d’un cancer
1933
Exposition commémorative Mackintosh à Glasgow |
Liens
Livres
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Charles Rennie Mackintosh : (1868-1928)
de Charlotte et Peter Fiell, Editions Taschen, 1998, 176 pages
Glasgow School of Art: Glasgow 1897 to 1909, Charles Rennie
Mackintosh
de James Macauley, Editions Phaidon, 2002, 60 pages
Charles Rennie Mackintosh
de Alan Crawford, Editions Thames & Hudson, 2005, 216 pages, en
anglais
Beginnings: Charles Rennie Mackintosh's Early Sketches
de Elaine Grogan, Editions Architectural Press, 2002, 177
pages, en anglais
Présentation de plus de 70 dessins jamais publiés de Mackintosh de
ses premières années, de ses influences en architecture…
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