La Grande Singerie du château de Chantilly

par Catherine AUGUSTE
ancienne élève des Beaux-Arts de Paris
désigne et décore des cabinets de curiosités

1/ Un décor attribué à Christophe Huet

La Grande Singerie du château de Chantilly, décor de Christophe Huet
© hubert josse, citadelles et mazenod
Vue d'ensemble de la Grande Singerie du château de Chantilly peinte par Christophe Huet en 1737. Une autre pièce du rez-de-chaussée du château,
la Petite Singerie, a été peinte également par Christophe Huet, ainsi que la chambre du prince avec un décor de paysages aux animaux.

Détail de la Grande Singerie du château de Chantilly, décor de Christophe Huet
© marc deville
Détail du panneau de boiserie avec la dame encensée par deux singes.
Il s’agit probablement d’un pastiche de la scène d’adoration de la déesse Ki Mao Sao peinte par Watteau et gravée par Aubert en 1729. On peut y voir aussi l’allégorie d’un des cinq sens : l’Odorat.

La Grande Singerie du château de Chantilly, boudoir destiné à l’origine à accueillir les porcelaines du duc de Bourbon, offre un décor caractéristique du style rocaille mêlant singeries et chinoiseries traitées de façon fantaisiste ou allégorique. Elle doit son nom au fait que les scènes représentent des singes au service des hommes et vice versa.

Ces peintures sur lambris, attribuées à Christophe Huet (1700-1759), présentent un exemple exceptionnel du goût assez fréquent au XVIIIe siècle pour l’exotisme oriental chinois.

En 1710 le château de Chantilly revient à Louis-Henri Bourbon-Condé (1692-1740), duc de Bourbon qui poursuit l’aménagement entrepris par son grand-père, le grand Condé. Le décor du petit château est ainsi remanié en 1737, date de l’exécution de la Grande Singerie que l’on attribue à Christophe Huet, peintre réputé de tableaux d’animaux et d’oiseaux. Mais longtemps on hésita sur l’auteur (Watteau, Claude Gillot, Audran ?) car les archives ne révèlent aucun paiement fait par le duc pour le décor des deux singeries : la Grande Singerie fait partie des grands appartements de l’étage tandis que la Petite Singerie se situe au rez-de-chaussée. Cependant des restaurations récentes ont mis à jour la date d’exécution du boudoir : l’inscription « 1737 » est peinte sur le bloc de marbre que le singe sculpteur modèle. C’est ainsi que l’on a pu éliminer les auteurs longtemps présumés : Watteau, mort en 1721, Claude Gillot, mort en 1722 et Claude Audran, mort en 1734. Dès lors on attribua les décors des Singeries à Christophe Huet qui par ailleurs travaillait pour la famille Condé en 1734-1735. La facture et le style de deux autres décors encore visibles et réalisés par Huet ont permis de faire ces rapprochements : le Cabinet des Singes de l’hôtel de Rohan (aujourd’hui Archives nationales à Paris) en 1749-1752 et le Salon chinois du château de Champs-sur-Marne avant 1755.

Huet fut l’élève de Gillot et l’on sait qu’il collabora avec Audran pour le château d’Anet en 1733. Son style est emprunté à ceux de Berain, d’Audran et de Watteau et de Boucher. Il avait deux collaborateurs : Dutour pour les animaux et Crépin pour les paysages.

 

2 / L’iconographie de la Grande Singerie

L'alchimiste de la Grande Singerie du château de Chantilly, décor de Christophe Huet
© marc deville

Le décor englobe toute la pièce et s’étend sur six panneaux de boiseries avec soubassement, trois portes à double vantail et le plafond. Les plus grands panneaux sont encadrés d’une large bordure en bois sculpté, doré et mosaïqué qui font penser aux marges des estampes de Watteau, de Boucher ou de Hucquier (qui a produit des recueils de modèles dont Nouveaux cartouches chinois vers 1730).

Plusieurs lectures iconographiques sont possibles allant de la représentation des cinq sens aux quatre parties du monde (Asie, Amérique, Europe et Afrique) auxquelles se juxtaposent des allégories multiples liées aux intérêts des Condé comme la chasse.

L’interprétation des cinq sens

On discerne beaucoup de singes musiciens et d’attributs de la Musique : le panneau du vieux Chinois dans son hamac entouré de deux singes musiciens ou bien le singe jouant du tambour ou celui funambule accompagné de flûtes et de grelots sur les portes. Toutes ces représentations ainsi que les nombreux attributs de la Musique peints dans les parties basses des portes symboliseraient l’Ouïe.

L’Odorat pourrait se lire sur le panneau de la dame encensée par deux singes. Le Goût se retrouve sur le panneau avec théière et chocolatière. La Vue serait évoqué de multiples façons sur le panneau de l’alchimiste avec ses toiles peintes, l’autoportrait du peintre, les céramiques ou bien dans le registre inférieur le motif de l’oiseau se regardant dans un miroir grossissant. Enfin la lettre reçue par la dame pourrait être le Toucher.

L’illustration des Quatre parties du monde

D’autres peuvent y voir la représentation des quatre parties du monde.
Certains animaux peints dans la Grande Singerie symbolisent traditionnellement ces différentes parties : le crocodile (Amérique), le cheval (l’Europe), l’éléphant (l’Asie) et le lion (l’Afrique). Mais d’une autre façon, les personnages sont aussi représentatifs de cette partition : le Chinois pour l’Asie, la dame à la coiffure emplumée qui reçoit une lettre pour l’Amérique, l’Alchimiste pour l’Afrique et la dame encensée pour l’Europe.

Le panneau de boiserie de l’alchimiste. L’alchimiste se trouve au milieu de ses cornues. D’un côté un singe décore une céramique, allusion à la manufacture de porcelaine du duc de Bourbon, le commanditaire du décor (?) ; de l’autre côté, un singe peint des arabesques, référence au peintre de la Grande Singerie (?). Le décor est encadré d’une boiserie sculptée et dorée dans le style rocaille.

Les allégories et les fantaisies

Comme nous l’avons vu l’ensemble de la pièce est décoré de peintures sur lambris et plafond ainsi que de boiseries sculptées et dorées. Sur chaque panneau ou dessous-de-porte prennent place des allégories des Sciences (Géographie, Astronomie, Chimie), des Arts (Peinture, Sculpture, Musique), de la Guerre, de la Chasse où les Chinois, aux traits peu marqués comme chez le peintre Boucher, sont entourés de singes qui à leur tour peuvent être servis par les hommes. Toutes ces allégories révèlent les intérêts ou les activités des princes de Condé.


© cécile debise
Détail du plafond de la Grande Singerie du château de Chantilly par Christophe Huet en 1737. Il s'agit d'un clin d'oeil du peintre sur les distractions des ducs de Bourbon-Condé : les singes en livrée des Condé chassent le daim.

La Chasse, véritable distraction des ducs de Bourbon, s’illustre sur le panneau du singe piqueur et du singe livreur en livrée des Condé (couleur ventre-de-biche et amarante, jaune et rouge) de part et d’autre de la dame emplumée. Sur la partie haute, un trophée de chasse, dans le soubassement un cor de chasse. La Chasse aussi court sur le plafond : le long de la plinthe sont représentées une chasse au daim d’un côté et de l’autre une chasse au sanglier tandis que sur la frise dorée figurent des animaux et des attributs de chasse.

La Guerre, grande acticité des princes, se distingue sur la porte d’entrée où l’on peut s’amuser à la vue du singe porte-drapeau en uniforme de Condé associés à quelques attributs comme fusils, boulets de canon ou hallebardes pour illustrer la Guerre.

Parmi les autres allégories : les Sciences et les Arts. A gauche de la cheminée, le panneau de l’alchimiste avec ses cornues nous montre un singe peignant des arabesques et un autre des céramiques. Serait-ce une évocation du duc de Bourbon, créateur de la manufacture de porcelaine de Chantilly, établie en 1725 et qui s’inspirait des décors d’Extrême-Orient ?

La Peinture, le Théâtre, la Sculpture, la Géographie, etc. sont autant de thèmes illustrés dans la Grande Singerie de Chantilly où les humains servent parfois les singes : à droite de la fenêtre, la guenon en grande toilette est entourée de Chinois musiciens.

 

Détail du panneau de boiserie avec le singe porte-drapeau, allégorie de la Guerre
© marc deville

3 / La chinoiserie et les influences de Watteau, Boucher, Audran…

Le décor de la Grande Singerie est révélateur du goût pour l’Extrême-Orient dès le début du règne de Louis XV. D’autres exemples précèdent.

D’abord le thème de la singerie remonte au Moyen Age. Le singe par ses attitudes souvent comiques aux yeux de l’homme se prête parfaitement aux caricatures, aux « singeries » des activités humaines. Les plus anciens exemples se rencontrent dans les marges des manuscrits enluminés du XIIIe au XVe siècle. On y voit des singes s’activent avec parodie dans des rinceaux végétaux.

Celui de la chinoiserie en tant que thème décoratif est plus récent et elle est une pure création occidentale. Dès la fin du XVIIe siècle, Berain introduit le motif du Chinois pour les modèles de la Tenture des grotesques chinois. Les ornemanistes disposaient en cette fin de siècle d’une puissante documentation sur la Chine qui représentait pour l’Européen, l’exotisme, les oiseaux merveilleux, la richesse des fruits, l’insouciance et la gaieté. Outre l’engouement pour l’Extrême-Orient, l’attirance pour la chinoiserie venait d’une lassitude pour les ornements classiques ; elle répondait ainsi à un besoin de fantaisie. Cette pure création occidentale, où un Chinois ne pourrait s’y reconnaître, participe au renouvellement du répertoire ornemental traditionnel. Par sa souplesse, ses possibilités allégoriques elle s’insère très rapidement aux arabesques, au système rocaille où les singes trouvent leur place dans cet amalgame venu d’Orient. Avant la Grande Singerie de Christophe Huet, on peut citer Watteau, Boucher ou Audran. Watteau fut l’auteur d’une trentaine de peintures exécutées au château de la Muette en 1710-1716 dont il ne reste que les œuvres gravées par Boucher. Et Claude Audran, dont Huet fut un collaborateur, avait décoré des plafonds dans le goût de la chinoiserie notamment celui de l’hôtel Angran de Fonspertuis à Paris en 1721.

Mais ce qui fait toute la magie du décor de la Grande Singerie de Christophe Huet est qu’il fut miraculeusement conservé.

Quelques liens internet

La chasse au sanglier du plafond de la Grande Singerie du château de Chantilly
© cécile debise
Détail de la chasse au sanglier du plafond

Une émission de la radio Canal Académie
Nicole Garnier, conservateur en chef du patrimoine au château de Chantilly présente la restauration de la Grande Singerie achevée en janvier 2008 et le programme iconographique de ce décor du XVIIIe siècle.

Un reportage photographique de Cécile Debise pour l'Internaute
Une vingtaine de photographique avec détails des peintures de la Grande Singerie du château de Chantilly pendant leur restauration.

Un dossier de presse sur la restauration de la Grande Singerie

Depuis le magazine La Tribune de l'art
Pour voir les cinq panneaux restaurés de décors d'animaux peints par Christophe  Huet de la chambre de Monsieur le Prince au château de Chantilly.

Sur le site de l'Institut de France, propriétaire du château de Chantilly
Sur la restauration de cinq paysages avec animaux de Christophe Huet ; ces peintures sont encastrées dans des boiseries blanc et or de la chambre de Monsieur le Prince au château de Chantilly ; sont expliquées les techniques picturales de Christophe Huet et les restaurations engagées.

Quelques lectures sur les singeries et les chinoiseries

La Grande Singerie du château de Chantilly, décor de Christophe Huet
© cécile debise

Les singeries
Nicole Garnier-Pelle, Editions Nicolas Chaudun, 2008, 80 pages

Les peintures du XVIIIe siècle du musée Condé
Nicole Garnier-Pelle, Editions du Musée Condé, 1995, 221 pages

L’Art décoratif en Europe, Classique et Baroque
Chinoiseries, pp 225-324
Alain Gruber, Editions Citadelles & Mazenod, 1992,

Les singeries de Christophe Huet : Exposition-dossier, Musée des beaux-arts de Valenciennes, 23 décembre 2006-19 mars 2007
Virginie Frelin, Marie-Christine Anselm, Editions Musée des Beaux-Arts de Valenciennes, 2007, 56 pages

Chinoiseries : Le rayonnement du goût chinois sur les arts décoratifs des XVIIe et XVIIIe siècles
Madeleine Jarry, Editions VIlo, 1981, 258 pages

Chinoiseries
Dawn Jacobson, Editions Phaidon, 1999, 240 pages

Les Singeries de Chantilly
Christophe Levadoux, docteur en histoire de l’art, in L’Estampille – L’Objet d’Art, n°435, mai 2008, pp 42-51

Le cabinet d’histoire naturelle du duc de Bourbon
Christophe Levadoux, in Bulletin du musée Condé, 2008

Autre article du site sur les chinoiseries

La chinoiserie

Pour visiter la Grande Singerie du château de Chantilly

Ouvert tous les jours sauf le mardi.
Jusqu'au début avril : de 10h30 à 17h.
d'avril à novembre : de 10h à 18h.

www.chateaudechantilly.com
Château de Chantilly - Musée Condé
60500 Chantilly
Tél. : 03 44 27 31 80

 

   






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