Azulejos du Portugal
|
|
Dans le domaine de l’art décoratif les azulejos du Portugal représentent une des symbioses les plus marquantes entre architecture et décor. Ces revêtements de carreaux émaillés sont omniprésents tant dans les jardins que sur les murs extérieurs et intérieurs des palais, des églises ou des villas. L’idée de décors émaillés existe depuis des millénaires en Egypte ancienne ou en Mésopotamie mais c’est sans doute dans le Portugal de la Renaissance qu’un lien esthétique entre architecture et céramique à glaçure a trouvé son terreau le plus fertile alors même que les décors les plus somptueux sont dus à des productions importées d’Espagne, d’Italie ou des Pays-Bas. Par ce rapide aperçu historique, nous découvrirons de nombreux motifs et ornements à piocher pour nos propres décors. |
azulejos dans le style mudéjar Salle des Pies du Palais National de Sintra, début du XVIe siècle. Le revêtement d’azulejos se détache nettement du mur et reprend souplement les lignes courbes de la cheminée de marbre. |
Le terme azulejo est employé au Portugal dès le début du XVIe siècle. Emprunté à la langue espagnole, azulejo tire son origine du mot arabe azzelij désignant la pierre plate et lisse. C’est ainsi que les Orientaux appelaient les mosaïques romano-byzantines du Proche-Orient. L’artisanat de la poterie et de la céramique existait depuis longtemps au Portugal quand les azulejos y furent introduits notamment depuis l’Espagne et les Pays-Bas. Il faut attendre la seconde moitié du XVIe siècle pour que les premiers ateliers portugais assurent une production nationale. Les azulejos dérivent de l’art mudéjar présent en péninsule ibérique quand islam et chrétienté s’enrichissent mutuellement. La technique mudéjar se rapporte au goût musulman pour l’ornement linéaire et végétal. Les carreaux de couleurs diverses se juxtaposent selon des formes géométriques comme une mosaïque. Après une première cuisson du carreau fortement chargé en silice, on applique une glaçure (à base de plomb) fluide et adjointe d’oxydes métalliques pour la coloration (cobalt pour le bleu, cuivre pour le vert, manganèse pour le brun, fer pour le jaune et étain pour le blanc). Ces carreaux provenaient des ateliers sévillans. Puis vers le milieu du XVIe siècle la technique de la majolique exportée par les artisans italiens devient dominante. Il s’agit alors d’une glaçure stannifère qui par la présence d’étain donne un aspect blanc laiteux opaque. Le peintre par l’intermédiaire d’un poncif reporte le motif sur le carreau. La glaçure encore poreuse absorbe les couleurs étalées au pinceau immédiatement et sans repentir. Cette technique permet des représentations figurées dans le goût européen, la tendance étant de reproduire la porcelaine chinoise. La palette des couleurs est peu étendue car alliages et points de fusion sont délicats : bleu de cobalt, vert de cuivre, brun, violet ou noir de manganèse, jaune d’antimoine et rouge orange de fer. |
|
L’art mudéjar d’AndalousieOn aime considérer que le voyage du roi portugais Dom Manuel 1er (1495-1521) en Andalousie fut le point de départ des azulejos au Portugal. Celui-ci voulut orner sa résidence de Sintra sur le modèle de l’Alcazar de Séville. Des azulejos sévillans de style mudéjar furent alors importés et appliqués sur les murs des palais mais aussi des églises, le Palais National de Sintra représentant le plus bel exemple. Ici la parure d’azulejos rythme les murs et souligne les encadrements des portes et des fenêtres dans une prédominance de vert. Les carreaux émaillés sont soit plats soit en relief. Parmi les motifs : variations de feuilles de vigne, chardons et lys stylisés, compositions d’arabesque auxquels s’ajoutent l’introduction d’un motif original, la sphère armillaire, emblème de Dom Manuel. La majolique, un décor de tableau polychromeAvec la technique de la majolique initiée par
les ateliers italiens, l’art des azulejos allait rester lié à la
peinture et par conséquent au style dominant de chaque époque. Les
panneaux peints venaient d’Italie et des Pays-Bas avant que les
premiers ateliers portugais s’ouvrent au milieu du XVIe
siècle. Dans la palette colorée, essentiellement
polychrome, le jaune et le bleu dominent. Les décors abondants tant
à l’intérieur qu’au jardin se répartissent en : Les factures picturales sont variables : les panneaux émaillés de la chapelle Saint-Roch à Lisbonne font preuve d’une précision du dessin et d’une composition soignée, tandis que les décors du palais de Fronteira, aux portes de Lisbonne, sont manifestement réalisés par des artistes moins habiles. Au XVIIe siècle, le Portugal va reprendre les motifs fantaisistes et foisonnants des grotesques, des singeries dans des formes abâtardies voire exagérées. On les qualifie aujourd’hui de brutesco (bruto, grossier). Le cycle des azulejos en bleu et blancL’engouement pour la porcelaine chinoise aux Pays-bas avait conduit les céramistes à majolique à passer au décor bleu et blanc pour des raisons de concurrence car la fabrication de porcelaine ne fut effective en Europe qu’au XVIIIe siècle. Mais la production hollandaise dut s’adapter au goût du public portugais pour qui les grandes compositions convenaient mieux à l’emploi architectural. Avec une seule couleur, la simplification du travail fut possible permettant ainsi aux peintres d’azulejos de transposer plus facilement les modèles des gravures, s’attardant alors sur le dessin avec une représentation des ombres. De plus l’intérêt porté au contenu des panneaux et à cette nouvelle esthétique poussa les peintres d’azulejos à signer leurs œuvres. L’azulejo baroque est à son apogéeLa peinture bleue sur fond blanc fut en vogue jusqu’au milieu du XVIIIe siècle portée par les maîtres portugais qui imitaient la technique des Hollandais et honoraient des commandes jusqu’au Brésil. Cette époque baroque est surtout caractérisée par une profusion des décors : les azulejos s’emparent de toutes les parties de l’édifice jusqu’aux plafonds, intérieurs des coupoles ou cages d’escaliers. On emprunte au répertoire des graveurs français comme Jean Bérain, Claude Audran ou Pierre Lepautre car les références dominantes sont celles de la cour de Louis XIV. L’espace décoré est conçu comme un espace théâtral. On découvre ainsi des personnages émaillés grandeur nature qui se découpent sur les murs et semblent vous inviter à monter l’escalier. Dans les cuisines on sourit des trompe-l’œil de poissons et de victuailles accrochés au mur. Pour tous ces effets d’illusion et de profusion, les artistes jouent de la flexibilité végétale, ils remplissent les angles de conques et de ferronnerie parfois interrompue pour se mêler à l’architecture, les carreaux sont parfois découpés en épousant la silhouette du décor. Les scènes pastorales et de chasse, la figuration des quatre saisons ou des cinq sens constituent les thèmes les plus appréciés. La peinture d’azulejos fait office de fresques. Le rococoToujours fortement influencés par l’art français, les peintres d’azulejos intègrent dès le milieu du XVIIIe siècle le motif de la rocaille. D’abord limité aux encadrements, le coquillage et ses dérivés se combinent aux bouquets et aux scènes galantes héritées de Watteau. Même si le bleu perdure, la polychromie revient notamment avec l’utilisation du violet de manganèse et du jaune pour souligner les dentelures et les fragiles coquilles. Le tremblement de 1755 à Lisbonne, là où se trouvaient concentrée la plus grande partie des palais et églises en décors d’azulejos, va marquer un pas. La nécessité de reconstruire la ville eut pour conséquence la fabrication d’un type ornemental plus simple d’azulejos. L’exubérance ornementale recule et fait place progressivement à un langage plus classique inspiré de l’architecte Robert Adam : festons, guirlandes, médaillons répartis sur de vastes espaces blancs. Une production qui perdure depuis cinq sièclesL’azulejo, élément majeur de l’aménagement architectural, était essentiellement réservé à la noblesse et au clergé. L’exil de la famille royale au Brésil au début du XIXe siècle menaça la production portugaise d’azulejos. Celle-ci fut difficilement maintenue par les commandes des Portugais exilés, baignés par la culture de l’azulejo, ils souhaitaient recouvrir les façades et rafraîchir les intérieurs. On nota une forte reprise de cette production lorsque les émigrants revenus au pays rapportèrent la coutume des carrelages de façade. A Porto, à Lisbonne, des façades entières se couvrent de carreaux émaillés. Les ateliers adoptent de nouvelles méthodes de fabrication semi-industrielles : motifs limités, utilisation de pochoirs, puis emploi de granulat de masse et de la sérigraphie. Aujourd’hui l’utilisation de l’azulejo dans l’architecture perdure dans de grands projets urbains comme la station de métro Campo Grande par Edouardo Nery qui fait défiler des personnages dans le style du XVIIIe siècle ou le vaste mur de l’Oceanarium à Lisbonne composé de 54000 azulejos peints à la main qui reproduisent un immense aquarium. Déjà cinq siècles de production et un musée récemment ouvert pour le plaisir des yeux. |
|
Le musée national de l’azulejo à Lisbonne
L’institut Camoes
Images du palais des marquis de Fronteira |
|
|
|
||
|
||
|