des rouges

catherine auguste
par Catherine AUGUSTE
ancienne élève des Beaux-Arts de Paris
designe et décore des cabinets de curiosités

Rouge cerise, rouge sombre, rouge sang, rouge vif... le rouge est la couleur par excellence ; dans de nombreuses langues il est synonyme de coloré ou de beau (en langue russe). C'est la couleur du signal, de la marque (corriger au stylo rouge). C'est la couleur du danger et de l'interdiction ; dans la signalisation routière le rouge est un danger, les médicaments inscrits en rouge (ne pas dépasser la dose prescrite). C'est la couleur de la passion, de la séduction (rouge à lèvres). C'est la couleur de la fête, du luxe (couleur la plus noble au Moyen Age), le pourpre antique, couleur impériale. C'est la couleur du feu (les pompiers, les bornes à incendies, les flammes de l'enfer…

 

Du cinabre au vermillon

fresque romaine en rouge cinabre
fresque de la villa de Poppée
Oplontis (Pompéï)

Le cinabre, un sulfure de mercure naturel, est un des pigments rouges les plus anciennement connus et d'un rouge éclatant. Il est sans doute un des pigments plus onéreux sous l'Antiquité romaine ; Pline nous dit qu'il coûte aussi cher que le bleu d'Alexandrie soit quinze fois l'ocre rouge d'Afrique. Le minerai provient d'Almaden en Espagne, puis est transporté sous bonne garde et traité à Rome. Il faut le purifier et l'amener à une granulométrie idéale pour atteindre le rouge vif. On peut encore en voir l'éclat dans les fresques romaines de la Villa des Mystères à Pompéi où il est utilisé en peinture de fond malgré son prix. Ce colorant présente le risque de virer au noir dans certaines conditions d'exposition. Vitruve conseille d'enduire la fresque de cire pour éviter ce phénomène d'assombrissement. 

Le vermillon remplace en peinture le cinabre trop coûteux et rare. Sa préparation est connue très tôt en Chine et sans doute transmise en Occident par les Arabes au VIII° siècle. Il est très employé au Moyen Age dans l'enluminure. pour sa préparation, les Chinois combinaient le mercure et le soufre en fusion ; plus tard les Allemands du XVIII° siècle vont obtenir un vermillon sensiblement identique en mélangeant le soufre et le mercure dans l'eau. Il est très opaque, très couvrant et possède un indice de réfraction important. Son inconvénient majeur : être instable sans protection de vernis, cire ou de verre comme le cinabre. Ces défauts lui feront préférer les rouges de cadmium par les peintres au début du XX° siècle.

 

La garance 

 

Son nom garance signifie fiabilité : elle est la garantie d'un résultat durable. La garance est une herbe, Rubia tinctorium, cultivée dans de nombreuses régions de France (Nord, Normandie, Languedoc), en Espagne, en Provence… Sa racine contient plusieurs colorants rouges et jaunes. Séchée et broyée au moulin, elle donne une pâte ou une poudre, la garancine qui constitue la forme marchande. Mordancée à l'alun (ajout d'un mordant qui contribue à la fixation du pigment sur le support), la garance fournit un rouge vif très prisé au Moyen Age pour les vêtements.

Pour l'usage des peintres, on fabrique la laque de garance, appelée aussi carmin de garance. La laque est une poudre minérale teinte par un colorant. Cette plante tinctoriale fait l'objet d'un commerce organisé depuis l'Antiquité et contribue à la prospérité de régions entières. Les Romains l'utilise à Pompéi mais aussi à Vaison-la-Romaine pour l'exécution de fresques murales. Aux XVIII° et XIX° siècles, la culture de la garance est introduite en Vaucluse : les moulins à garance se multiplient, la qualité du produit s'affine car on sépare mieux la partie corticale du reste de la racine qui ne teint pas en rouge. Les produits du Vaucluse sont alors primés à l'Exposition Universelle de 1855. En 1860, le Vaucluse produit près de 50% de la production mondiale de garance ! Cependant la culture abusive épuise les sols, les fraudes se multiplient, des producteurs peu scrupuleux mélangent des ocres avec des briques pilées... La production s'effondre définitivement quand on découvre en 1869 l'alizarine artificielle.

 

L'alizarine 

 

L'alizarine de synthèse part à l'assaut de la garance lorsqu'en 1869 les chimistes de BASF découvrent la structure chimique de l'alizarine, principal colorant de la garance. Elle est alors fabriquée par de grandes firmes allemandes ruinant ainsi en peu de temps la culture traditionnelle de la garance de France et de Hollande.

 

Le carmin 

 

Le vocable s'applique à deux matières colorantes rouges de constitutions chimiques voisines obtenues à partir de deux sortes d'insectes : la cochenille du kermès (appelé kermès) et celle du cactus nopal (appelé cochenille).

Le kermès, petit chêne épineux de la garrigue (rarement plus d'un mètre de haut), est à l'origine de l'une des plus anciennes teintures de la région méditerranéenne. La plus grande richesse de cet arbuste vient d'un insecte parasite, une cochenille, le vermillon "kermes vermillo". Les mots "carmin" et "cramoisi" dérivés de kermès, évoquent aussi les nuances que l'on peut en tirer. Aux XVII° et XVIII° siècle la cochenille du kermès constitua une manne pour la Provence et le Languedoc grâce à des récoltes providentielles. A partir de la découverte du Nouveau Monde, l'usage de la cochenille du cactus nopal mit fin au ramassage de celle du chêne des garrigues. Les Espagnols ont vite compris l'intérêt de son exploitation car : 
- les conditions climatiques du Mexique permettent deux récoltes par an 
- la cochenille du cactus donne plus de 10% de son poids en produit colorant (dix fois plus que le kermès). 
Les principes colorants (kermès ou cochenille du cactus) ont surtout été utilisés pour la teinture car ils ont une solidité à la lumière juste convenable. Employés sous forme de laque, la solidité est encore plus faible. Aujourd'hui ces laques ne sont plus guère utilisées qu'en cosmétique où l'inconvénient du manque de solidité n'est guère une gêne.

 

Les rouges azoïques 

 

En 1878, Roussin, pharmacien à Paris, obtient un colorant rouge azoïque sans déposer de brevet. Hofmann analyse le colorant et lance des rouges ponceau et écarlate bon marché qui évincent les coûteux rouges de cochenille.

 

Les rouges cadmium 

 

Ce sont des sulfoséléniures de cadmium. Leur découverte date du début XIX° siècle pour la gamme des jaunes plus tardivement pour la gamme des rouges. De nombreuses qualités sont appréciées par les peintres : une grande vivacité, une très bonne solidité à la lumière et aux intempéries, une bonne miscibilité avec les autres couleurs.

 

Le pourpre 

 

D'un coût extravagant et d'une rare beauté ; le pourpre provient de mollusques méditerranéens appartenant à la famille des murex. Il en faut 10000 pour obtenir un gramme de colorant. Les teintes varient avec l'espèce de mollusque et la manière de mener les bains. Les empereurs romains se réserveront le port exclusif des vêtements teints en pourpre. Depuis l'Antiquité, on mêle la cochenille à la pourpre de Tyr pour abaisser les coûts. Mais avec la chute de Byzance, la pourpre antique disparaît en Occident : le pape décide en 1467 que les robes des cardinaux seront désormais teintes à la cochenille.

 

Quelques expressions...

 

être dans le rouge : situation alarmante d'une affaire en déficit 
se fâcher tout rouge : se mettre sérieusement en colère 
voter rouge : voter pour les partis révolutionnaires. Le rouge est souvent associé à l'idée d'alarme, d'interdiction, de ce qui a trait à la révolution : le petit livre rouge (chinois) l'armée rouge (révolution russe) 
marqué en lettres rouges : être signalé à la justice, être signalé comme condamnable. 
D'après le livre rouge (1690) de la justice sur lequel on enregistrait les défauts prononcés à l'audience, on a dit "écrit sur le livre rouge" puis "marqué sur le livre rouge". 
tirer à boulets rouges mettre le rouge, le rouge est mis : employé à la télé, radio ou cinéma pour signifier une interdiction d'entrer dans une cabine 
rouge de honte 
comme un âne rouge : il est méchant comme un âne rouge, il est très méchant 
voir rouge : être animé de passions violentes, de fureur 
rouge à polir : matière dont on se sert pour polir les métaux, les pierres dures

 

Références bibliographiques

  Les matériaux de la couleur
François DELAMARE et Bernard GUINEAU, 
Découvertes Gallimard, 1999 

Regards croisés sur la couleur du Moyen Age au XX° siècle
Philippe JUNOD et Michel PASTOUREAU, 
Edition Le Léopard d'or, 1994 

Techné 4,
La science au service de l'art et des civilisations, Couleurs et Pigments, vol.4, 
Réunion des Musées Nationaux, 1996 

Bibliographie de la couleur
Michel INDERGAND et Philippe FAGOT, 1984 

Des liants et des couleurs
Jean PETIT, Jacques ROIRE et Henri VALOT, 
Editon EREC, 1995 

 

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