d'après "Le mobilier polychrome en Alsace" de Georges
KLEIN
Coffre peint. Fond brun pommelé avec décor dit
de Gottesheim (losange vert, rinceaux blancs,
étoiles blanches et
noires, etc.). Obermodern 1807
Coffre polychrome. de la région d'Obermodern
(1700-1720). Fond sang de bœuf très dilué et bruni, décor au pochoir |
En Alsace, le meuble peint est avant
tout un meuble de mariage. Construit en sapin, le mobilier peint
était d'un prix bien moindre que le mobilier de bois fruitier dit
"noble" (vers la fin du 18ème siècle, on n'employa d'ailleurs même
plus que du sapin de second choix).
Dans les milieux ruraux modestes, le
mobilier se composait d'une armoire, d'un lit à ciel, d'un coffre,
d'un buffet de cuisine "Olmer", de quelques chaises, le tout en bois
peint, et on se contentait d'une seule armoire en bois "noble",
voire quelques chaises. Ajoutons un berceau, généralement peint, et
parfois un buffet d'angle.
La plupart du temps, les meubles ont été peints par les
menuisiers eux-mêmes. Généralement, il n'y avait qu'un seul
peintre pour un groupe de villages, qui se déplaçait parfois chez
les particuliers avec sa boîte de couleurs pour peindre sur place.
Chaque peintre possédait un répertoire personnel, avec des thèmes
préférentiels. Il possédait aussi ses propres recettes, dont il
ne divulguait jamais complètement le secret.
Les premiers meubles étaient, jusqu'au 17ème siècle environ,
simplement badigeonnés d'une couche de teinture mordante ou brou de
noix, pour atténuer la blancheur du bois. A la campagne, on se
servit de rouge : soit d'ocre rouge, soit de sang de bœuf dilué.
Le procédé le plus courant consistait à prendre un chiffon et à
essuyer le trop plein de la couleur, laissant transparaître le
veinage du bois. Puis, au 17ème siècle, on se mît à utiliser le
noir de suie, obtenu par calcinage de la suie diluée avec du
vinaigre, en guise de fixatif. Les fonds de coffres et d'armoires,
avec leur glacis rouge nuageux, furent réalisés à l'estompage et
à l'épongeage. Sur ce décor, on traçait des encadrements au brou
de noix, et enfin, des décors au pinceau, à main levée ou au
pochoir, au noir de suie.
Au début du 18ème siècle, se sont ajoutées deux autres
couleurs : le rouge cinabre et le blanc de céruse, et, vers 1720,
le vert cinabre puis le bleu d'empois ou "lazurbloïj",
utilisés d'abord comme glacis, puis, pour les fonds.
Le liant le plus fréquemment employé était le petit lait, que
l'on mélangeait aux ocres et aux poudres colorées. C'était un
excellent fixatif. La "colle de froment", faite à la
farine fine de froment par émulsion et ébullition, est un autre
liant fréquemment utilisé. Mélangée aux ocres, elle permettait
des pommelages, des veinages et des marbrures.
A la fin du siècle, avec l'avènement de la pomme de terre, on a
utilisé des ocres, de la bière et du vinaigre. La bière et la
surface coupée de la pomme de terre offraient l'amidon nécessaire
au liant, et le vinaigre servait de fixatif pour réaliser les
mêmes techniques de décor.
Au départ, les peintres utilisaient des pochoirs "Schablon
- Patrone" pour décorer leurs meubles. Les pochoirs,
découpés dans du parchemin épais, étaient soit réalisés par
l'ébéniste lui-même, soit achetés chez des spécialistes qui
avaient boutique sur rue et confectionnaient des pochoirs pour tous
usages, "les Patronierer". Leur usage laissait une part à
la créativité, en n'utilisant que partiellement la découpe. La
répétition de certains motifs, avec des couleurs différentes,
était fréquemment employée : ils se retrouvaient
alternativement en blanc, noir ou vert.
Haute et basse Alsace développent des styles un peu différents
: en haute Alsace, on note une préférence pour les fonds bleus,
associés au rouge, qui viendraient directement du Tyrol. En basse
Alsace, les fonds bruns connaissaient plus de succès.
Concernant les décors, deux tendances se dégagent : l'une
figurative, avec bouquets stylisés dans des vases, peints à la
main, l'autre géométrique, surtout basée sur l'emploi du losange,
souvent peint en vert sinople ou en bleu turquoise, et bordé de
filets blancs. Leur champ intérieur est peint en rouge garance
servant de fond à des décors variant selon les régions.
Très apprécié, le décor dit de "Gottesheim" prit
souvent le losange bordé de blanc crème comme motif décoratif.
L'autre décor, le quadrilobe, est un ornement qui s'insère bien
dans les panneaux carrés, et qui fut souvent utilisé comme fond
pour les rosaces et autres ornements.
Bien qu'assez riche, le décor des meubles polychromes est plus
simple en Alsace qu'en Suisse, au Tyrol ou en Bavière.
On distingue :
a) des motifs d'inspiration géométrique et symbolique :
Le pentacle, qui insère une forme pentagonale entre ses
branches. Avec son étoile à 5 branches, elle symbolise le mariage,
le bonheur dans la vie conjugale, mais est aussi un puissant moyen
de conjurer les puissances maléfiques ; l'étoile à 6 branches ;
les svastikas, symbole solaire qui viendrait de l'Inde ; le losange,
symbole féminin ; le soleil irradiant, statique ou dynamique ; le cœur,
symbole d'affection et d'amour.
b) ceux empruntés au règne végétal :
Rosaces et roses, symbole de l'épanouissement de l'âme et de
l'amour, devenu dans l'iconographie chrétienne le symbole des 5
plaies du Christ ; la tulipe, fleur ayant toujours eu une haute
valeur symbolique (calice parfait, elle reçoit les dons que Dieu
distribue ; calice épanoui, elle est l'élément femelle) ; la
fleur de lys, emblème royal, sublimé par la religion chrétienne
en lui donnant le sens de la pureté ; l'œillet d'origine turque,
propagé dans l'iconographie occidentale par les croisés, dont les
épouses avaient copié le motif dans les broderies ; mais aussi
l'anémone, la pensée, la marguerite, le muguet, le bleuet, le
myosotis.
Les bouquets sont présentés dans des vases, les vases du grand
siècle étant ceux qui eurent le plus de succès dans la peinture
populaire.
Parmi les fruits les plus représentés, on trouve la grenade,
elle aussi venue de Turquie par l'Italie et l'Europe Centrale :
l'abondance des graines qui émergent de la fente centrale éclatée
est à l'origine de son interprétation d'emblème de la fécondité
et de la prospérité. Autre fruit très souvent représenté, le
raisin, symbole du sang du Christ.
c) les décors linéaires :
Beaucoup de meubles peints sont décorés de rinceaux blancs
crème, décors linéaires avec des motifs de tulipes peints à main
levée.
On trouve aussi le huit couché, symbole de longévité.
Quant à l'arbre de vie, il symbolise comme motif décoratif les
forces vives et créatrices de la nature, la croissance et la vie.
Il est un des signes porte bonheur par excellence.
Les meubles de mariage typiques portaient le plus souvent des
initiales ou le nom de la mariée et du jeune époux, et la date de
mariage. Quelquefois, se trouvait aussi la référence d'un psaume,
une sentence religieuse moralisante ou humoristique.
Chaque génération apportait de nouveaux meubles peints "en
ménage", et on en reléguait une partie au grenier, dans la
chambre des valets. Ces armoires ou coffres furent souvent
transformés en clapiers à lapins ou en pigeonniers.
Ces meubles ne jouirent plus d'aucune faveur à partir des
années 1900. L'entre deux guerres leur donnèrent le coup de
grâce.
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