Jean I Berain (1637-1711), un style

par Catherine AUGUSTE
ancienne élève des Beaux-Arts de Paris
désigne et décore des cabinets de curiosités


estampe de Jean Berain

Jean I Berain devint premier décorateur à la cour de Louis XIV en suivant les pas de Charles Le Brun.
Ornemaniste de talent et l’un des plus féconds de la fin du XVIIe siècle, il fut un rénovateur des motifs de grotesques et d’arabesques. Berain estompa l’omniprésence des grandes feuilles d’acanthe dans la composition au profit d’un réseau plus léger d’entrelacs, de festons et de singeries.
Grâce à sa maîtrise parfaite de la gravure, son œuvre fut largement répandue et copiée, d’autant plus que l’époque était particulièrement favorable à la diffusion du modèle versaillais. Son empreinte fut immense puisqu’il dessina des décors d’opéras, de fêtes et de pompes funèbres, des habits, des pièces d’orfèvrerie et d’arquebusiers, des modèles de lambris et de plafonds, des cartons pour la tapisserie, etc.

 

1/ Une vie dédiée à l’ornement


Proue et poupe de vaisseau  (Jean Berain).
On note chez Berain un goût prononcé pour les lignes courbes, une ornementation liée au vocabulaire des grotesques : masques, personnages hybrides, acanthe, fleurons d’acanthe, coquilles, etc.

 

Jean I Berain naît en 1637 en Lorraine dans une région ravagée par la Guerre de Trente Ans, son baptême est attesté le 4 janvier 1640 à Saint-Mihiel dans le Barrois. Rapidement il quitte la région avec ses parents pour rejoindre Paris. Son grand-père est arquebusier, son père également. Ce métier consistait à fabriquer et décorer des armes à partir de modèles de gravures.

Jean, qui avait le goût du dessin, apprend les techniques de l’eau forte commune aux graveurs et aux arquebusiers lorsque ces derniers « imprimaient » le décor sur les parties métalliques des armes. Sous le nom de Jean Berain Le Jeune, il publie son premier recueil d’ornements, Diverses pièces très utiles pour les Arquebuzières, qui sera édité à plusieurs reprises jusqu’en 1667. Son deuxième recueil de modèles, cette fois-ci destiné à la corporation des serruriers, paraît en 1662. Puis Berain, reconnu pour ses qualités de graveur, est amené à réaliser quelques dessins pour le Cabinet des planches gravées du roi qui immortalisait tous les grands événements du règne de Louis XIV.

En 1675 Jean Berain est nommé dessinateur de la Chambre et du Cabinet du roi, il accède ainsi au rang des principaux artistes de la cour. Sa mission est d’exécuter toutes sortes de dessins, de perspectives de carrousels, de figures et d’habits pour les fêtes et les comédies, de modèles de costumes à la mode. Il cumule les fonctions de Dessinateur des jardins en 1677 puis de décorateur de l’Opéra de Paris auprès de Lully en 1680.

La période fastueuse des fêtes et des représentations à la cour s’achève à la fin des années 1680, Berain s’oriente alors à la création de décor pour quelques commanditaires renommés comme Condé, Conti et le marquis de Seigneulay (fils de Colbert), son plus grand mécène. Ce dernier lui délivrera la charge de dessinateur des vaisseaux de la flotte royale, succédant à Charles Le Brun.

L’apogée de Jean Berain se situe à cette fin du XVIIe siècle lorsque sa carrière dépasse les frontières par les sollicitations des cours étrangères, notamment la cour de Suède, mais surtout par la diffusion de ses estampes ; ses contemporains, parmi eux André-Charles Boulle, collectionnaient ses modèles bien avant son décès ce qui permit le développement
du « style Berain ».

En 1704, fatigué et moins sûr dans son dessin, il transmet sa charge de dessinateur à son fils Jean qui déjà le secondait.

En 1711, Jean I Berain meurt en laissant à ses héritiers un capital important.

 

2/ De l’héritage des grotesques au style Berain


Fragment de lambris en chêne peint et doré (fin XVIIe siècle). Les gravures de Berain devaient être interprétées avant tout comme des suggestions pour la décoration intérieure et les meubles. Ce lambris en offre un bon exemple. Un décor en rinceaux et en rubans, aéré par des guirlandes, un motif de vase et un mascaron entourent un cartouche comportant un monogramme couronné.

Les premiers ouvrages de Berain, l’héritage des grotesques

Les premières planches gravées de Berain pour les arquebusiers en 1659 témoignent du goût décoratif de son temps : un réseau de rinceaux où s’organisent et se cachent des êtres fantastiques, des animaux en course, des oiseaux perchés et des masques grimaçants. Berain emprunte également quelques petites figures à la Callot qu’il place dans cet enchevêtrement de rinceaux. Son dessin est déjà gracieux et ses compositions plus aérées que ces contemporains.

Dans cette deuxième moitié du XVIIe siècle, la France apprécie ces constructions bizarres des grotesques, puisées dans les formes antiques et qui avaient cette étonnante souplesse d’adaptation à l’ensemble des arts décoratifs. Charles Le Brun (1619-1690), peintre et décorateur de Versailles, avait dessiné les décors de Versailles selon le principe d’un réseau symétrique et chargé de rinceaux de feuilles d’acanthe lourde où le végétal prédomine. Son influence sur le premier Berain est certaine. Mais ce dernier va les réinterpréter à la fin du XVIIe siècle et leur donner nouveau regain sous le nom d’arabesques.

Les composantes de ce nouveau style

Jean Berain ne cherche pas l’authenticité, il ne puise pas dans les sources antiques de l’arabesque mais il s’appuie sur une interprétation de seconde « main » : les loges de Raphaël et de façon générale les ornemanistes flamands et italiens du XVIe siècle.

Il donne aux rinceaux d’acanthe une forme beaucoup plus ample où les personnages et les animaux peuvent s’installer. Il emprunte quelques motifs à l’Ecole de Fontainebleau comme les cariatides, les précieux dais ou les corbeilles de fleurs. Il ajoute à ce répertoire quelques motifs qui lui sont chers : singes qui se tournent le dos, souris accrochées à une ficelle, oiseaux en mouvement, faunes jouant de la musique, etc. La nature ne se réduit plus à l’acanthe qui est désormais concurrencée par les roseaux, oliviers et pampres des fêtes dionysiaques.

Berain avait commencé au Cabinet du roi par dessiner des costumes de fêtes, des perspectives de carrousels, ce travail consacré au spectacle a sans doute influencé sa réinterprétation des grotesques en lui apportant des clins d’œil divertissants. La fête, de façon générale, est le thème favori de l’arabesque depuis l’Antiquité. A cette fin du XVIIe siècle il y a un renouveau du goût de la comédie. Il n’est donc guère étonnant que Berain s’empare de ce répertoire ornemental : ses singeries et autres animaux aux attitudes changeantes sont propices au rire.

La composition

Les compositions ne s’appuient plus seulement sur le triomphe des rinceaux car Berain introduit un jeu de bandes rectilignes héritières des entrelacs. Cette nouvelle structure de lignes, symétrique et assez rigoureuse, permet une mise en scène des dais, drapés et silhouettes sautillantes et burlesques où le fond, difficile à entrapercevoir sous Le Brun commence à gagner de l’importance.

Ce jeu de bandes va jusqu’à border les panneaux pour constituer un cadre autour duquel s’organisent une bordure et des pilastres verticaux. Ses compositions pour les tapisseries des Gobelins ont probablement développé cette tendance à la bordure dans ses arabesques. A l’intérieur du cadre, Berain hiérarchise les espaces : le dais central indique le sujet principal autour duquel le décor d’arabesque encore fortement présent s’organise. Cette construction est une préfiguration de ce que Watteau produira au XVIIIe siècle : une scène centrale primordiale entourée d’arabesques secondaires.


Les grandes feuilles d’acanthe, qui dans ses premiers projets (1667) jouaient encore un rôle important, furent plus tard supplantées en grande partie par d’autres éléments décoratifs, notamment un jeu de bandes.
Cette estampe mettant en scène des jeux et des singeries reste en dépit de la petitesse des personnages, d’une grande clarté dans sa composition. Ici Berain se rapproche de la tradition des arabesques de la renaissance italienne par sa composition.


Les estampes de Berain ont été éditées à des dates variables en France mais plutôt tardivement dans la vie de l’artiste (la grande majorité de l’œuvre est publiée vers 1690 et surtout vers 1703-1710). Plus important peut-être encore pour leur diffusion est le fait qu’elles aient été copiées à Augsbourg et aux Pays-Bas.

 

3/ L’influence de Berain


Aiguière en faïence de Moustiers en décor dit à la Berain.
Très typique de la production de Moustiers qui favorisa ce décor dit abusivement à la Berain, l'arabesque est composée d'un sujet principal et central, entouré d'ornements annexes : fleurons, acanthes légères, jeu de bandes, suspension...
Très apprécié dans la céramique, le décor dit à la Berain a été repris également dans la faïence de Nevers

Deux origines expliquent le succès et l’influence de Berain :

- La diffusion de ses estampes,

- La création d’un style nouveau.

La diffusion des estampes

Jean Berain est né dans une famille d’artisans arquebusiers qui devaient savoir manier l’eau-forte pour le décor de l’argent, du cuivre ou de l’acier de l’arme au même titre que les graveurs d’estampes.
Les armes ont toujours constitué des espaces privilégiés d’invention pour l’ornement grotesque qui s’adapte aux espaces dissymétriques ou pas.
Jean Berain a donc fleuri dans le foyer privilégié pour apprendre le dessin, l’ornement et la gravure. Rapidement ses compétences lui permettent d’éditer son premier recueil de modèles en 1659.

Il fut par la suite l’un des maîtres graveurs les plus féconds de ce XVIIe siècle.

L’estampe a toujours été le grand véhicule du modèle ornemental. Les plus grands centres de production sont Paris, Nuremberg et Augsbourg.
Des estampes françaises furent publiées en France mais aussi à Augsbourg qui s’était spécialisée dans la réédition de gravures françaises avec souvent des titres et des légendes faux. C’est ainsi que l’on a attribué l’origine de certaines tapisseries à Berain à tord.
La multiplication des gravures par des rééditions successives ainsi que leur diffusion élargie à l’Europe ont contribué certainement à la célébrité de Berain.

La création d’un style

La seule explication du succès de Berain par l’estampe et sa diffusion ne suffit pas. Il a créé un style original qui a pu s’épanouir grâce à son milieu d’arquebusiers et au contact de l’art officiel de Versailles lorsqu’il devint dessinateur du Cabinet du roi. Le nom de Berain reste attaché au renouvellement du genre grotesque par l’allégement de ses acanthes trop lourdes et l’introduction de la fantaisie. Ses compositions d’arabesques toujours équilibrées préfigurent l’arabesque de Claude Audran encore plus légère et celle de Watteau rococo.

Berain est un ornemaniste, il crée des modèles pour d’autres artisans qui leur donneront leur forme. Les témoignages qu’il nous reste au travers de techniques les plus variées nous laissent imaginer son influence : les tapisseries des Gobelins, les faïences de Moustiers au décor à la Berain, les meubles en marqueterie d’écaille et de cuivre d’André-Charles Boulle, etc.

Il bénéficia des meilleurs artisans pour réaliser ses projets pendant ses années au Cabinet du roi mais aussi chez les grands seigneurs. Ces commanditaires exercèrent une forte influence pour la diffusion et la pérennité de son œuvre. Et puis, son fils Jean qui l’avait secondé pendant des années, perpétua certainement son style jusqu’au milieu du XVIIIe siècle.

On comprend là comment un style peut être transmis.

 

 

   

 

 


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