Le galuchat
matériau de gainerie

catherine auguste
par
Catherine AUGUSTE
ancienne élève des Beaux-Arts de Paris
désigne et décore des cabinets de curiosités

 

 

Histoire du galuchat


la raie Dasyatis sephen, galuchat à gros grains

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

Peau de roussette, de requin, de raie ?

Les meubles et les objets gainés de galuchat présentent des différences d’aspects liés à l’origine des peaux. On distingue ainsi le galuchat à gros grains et celui à petits grains.

Le galuchat à gros grains provient d’une raie à aiguillon de l’Indopacifique, Dasyatis sephen. Cette raie dispose de quelques gros grains alignés au centre de son dos et qui vont décroissant vers les bords de la peau. Les grains ou écailles sont de la même nature que celles de nos dents composées de dentine et d’émail. Ils sont arrondis si bien que le galuchat à gros grains a souvent été employé brut ou légèrement poncé. C’est la peau du dos que l’on utilise.

Le galuchat à petits grains provient de plusieurs squales parmi lesquels les roussettes qui sont largement répandues en Atlantique. Contrairement à la raie à aiguillon on utilise essentiellement la partie ventrale de la roussette. Les grains ou écailles de cette dernière sont en forme de pointes rendant la peau très rugueuse. C’est la raison pour laquelle le galuchat à petits grains est toujours lisse et semble transparent du fait du ponçage nécessaire. Le XVIIIe siècle qui fut son heure de gloire l’appréciait teinté de vert.

Origine du mot galuchat

Jean-Caude Galuchat, gainier du quai de l’Horloge à Paris au XVIIIe siècle, est renommé pour avoir trouvé le moyen d’adoucir et de teinter les peaux de roussette. Bien qu’à cette époque, de nombreux gainiers tout aussi réputés garnissaient étuis, boîtes à bijoux, montres de la peau de roussette essentiellement teintée verte, c’est le terme galuchat qui finit par désigner les peaux de roussettes et de raies.

Préparation des peaux

Après la découpe qui se fait le long du dos pour les requins et du ventre pour les raies, la peau est retirée de sa carcasse et mise à tremper dans l’eau de mer pour faciliter l’écharnage. Celui-ci ne doit pas être poussé trop loin au risque de fragiliser la peau : les grains pourraient ne plus être suffisamment reliés entre eux et des déchirures apparaître.

Les peaux sont alors abondamment lavées et salées pour éviter aux pourritures de s’installer. C’est ainsi qu’elles arrivent la plupart du temps.

D’autres opérations sont nécessaires avant d’être utilisables pour la gainerie : le nettoyage par sablage sur leur face extérieure pour éliminer rapidement les poussières présentes entre les grains ou les restes d’algues, et le nettoyage par raclage sur la face intérieure.

Ainsi préparées et aplanies, les peaux peuvent être poncées à l’aide de ponceuse pour élimer les écailles en pointe des peaux de requin tandis que la peau de raie peut être laissée brute.

La mise en teinte est réalisée par des teintures modernes ou des acides.

Son utilisation dans l’histoire

L’usage des peaux de poissons tant pour des objets que des vêtements est avéré depuis l’Antiquité : on a retrouvé des objets funéraires enveloppés de peaux de poissons dans des tombes égyptiennes. En Chine, le travail des peaux est attesté dès le VIIIe siècle pour constituer des vêtements fabriqués et cousus à partir du poisson (saumon, silures notamment). Mais ce sont les Japonais qui ont utilisé la peau de raie bien avant les gainiers européens du XVIIIe siècle pour les fourreaux et les poignées de leurs sabres, les inros (petites boîtes à médecine accrochées à la ceinture) ou les armures.  

En Europe, la roussette, parfois appelée chien de mer, a d’abord été utilisée comme abrasif du fait de la configuration en pointe de ses écailles. Dès le XVIe siècle, il est fait mention de son usage par les menuisiers ou les charpentiers pour polir leurs bois, par les médecins pour éliminer les durillons ou même dans le cardage de laine. Les artillers profitent également de sa qualité de peau âpre garantissant un meilleur maintien dans la main pour gainer les poignées des épées et des dagues.

La fonction décorative n’est vraiment apparue et appréciée que dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle quand les peaux de poisson à grains deviennent galuchat. La marquise de Pompadour est friande de ces petits objets et étuis recouverts de roussette verte polie. Tous les grands et nobles de cette époque sont amateurs d’effets « exotiques » où le galuchat remplit bien ce rôle : tabatières, flacons à sels, enveloppes d’instruments de précisions, de lorgnettes de théâtre, cadran solaire, télescopes… se couvrent de galuchat (généralement de roussette) teinté vert, rose ou gris.

Le galuchat à gros grains était importé en France au XVIIIe siècle par l’intermédiaire de l’Angleterre. Sa provenance orientale faisait sa rareté si bien qu’il était réservé aux objets les plus luxueux.

Le commerce de la raie fut facilité aux XIXe et XXe siècles grâce au développement des relations avec l’Orient et les colonies françaises. Les prémices d’un nouvel engouement du galuchat virent le jour dès les années 1910 avant de devenir l’un des matériaux favoris des artistes Art Déco de l’entre-deux guerres. Rien n’est plus beau que la nacre, l’ivoire, le parchemin ou le galuchat pour exprimer le raffinement des meubles aux formes épurées de ces nouveaux décorateurs.

 

Les décorateurs Art Déco


Paul Iribe, petite commode en ébène, ardoise et galuchat, Musée des Arts Décoratifs de Paris

 


détail du serre-bijoux Mother of pearl (galuchat et poirier), Catherine Auguste

Paul Iribe (1883-1935) est certainement le précurseur de l’emploi du galuchat dans l’ameublement. Pour le couturier Jacques Doucet, il imagine en 1912 une petite commode galbée en ébène, gainée en galuchat vert à gros grains, aujourd’hui visible au Musée des Arts Décoratifs de Paris. Une anecdote, relatée dans le livre Galuchat de Jean Perfettini, révèle que Paul Iribe découvre un lot important de peaux de raie en provenance d’un fond de grenier de Réal, gainier du XIXe siècle. Iribe confie la réalisation de la commode à Clément Rousseau, sculpteur de formation, qui va mettre en pratique l’application du galuchat sur meubles après maintes recherches car les techniques s’étaient perdues.

Si Paul Iribe est le précurseur de l’emploi du galuchat dans l’ameublement, Clément Rousseau (1872-1950) est en revanche celui qui le réhabilite avec le plus de ferveur, l’associant à des matières aussi nobles que l’ivoire ou l’ébène de Macassar dans des compositions subtiles de marqueterie rayonnante ou en damier. Il n’est pas rare de voir sur ses meubles une opposition de matières : une peau brute qui juxtapose une peau poncée et parfaitement lisse. On peut voir certains de ses meubles au Musée des Arts Décoratifs de Paris : une chaise en ébène avec au dos un motif en soleil fait de bandes de galuchat vert, rose et blanc, une petite table triangulaire en amourette et galuchat vert.

Nombreux sont ceux qui ont choisi le galuchat comme signe d’élégance :
Adolphe Chanaux (1887-1965) ; André Groult (1884-1967) a fait du galuchat une de ses matières de prédilection que l’on apprécie particulièrement dans son chiffonnier aux formes anthropomorphe ; Michel Frank (1893-1941) a gainé du galuchat en imitation de same-nuri japonais sur ses meubles aux lignes géométriques ; Jacques-Emile Ruhlmann (1879-1933) aime souligner les triangles de galuchat par des filets d’ivoire ; Pierre Legrain (1888-1929) a réalisé des reliures associant galuchat et autres cuirs… 

Entre 1920 et 1940, le galuchat est à son apogée : il est utilisé par de grands décorateurs sur des meubles d’exception pour une riche clientèle. Son travail difficile pour le couper, l’ajuster le rendait sans nul doute encore plus précieux.

Mais l’oubli succède souvent aux heures de gloire. Avec les nouvelles conceptions des avant-gardistes comme le Bauhaus, le meuble rentre réellement dans l’ère industrielle. Le métal et les assemblages « faites-le vous-même » vont prendre le dessus. Le meuble devenu accessible à tous ne laisse guère de place au galuchat !

 

Un livre à lire

Le galuchat 
Le galuchat
de Jean Perfettini, Edition Vial, 70 pages, 2005

un article de la Gazette Drouot sur les années folles du galuchat

autre article à consulter sur le site : Le galuchat en trompe-l'oeil

 

   

 

 


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