La petite histoire de l'Armoire
Armoire d’Aubazine
Un des plus vieux exemples d’armoire. Les premières armoires
étaient construites comme un coffre en bâti épais dont la
consolidation des panneaux était assurée par des éléments de fer
forgé. L’armoire d’Aubazine (Corrèze) est en fait une armoire
à objets liturgiques du XIIe siècle. |
Le mobilier ne date pas d’hier, il remonte à
la préhistoire au moment où l’être humain devient sédentaire.
L’art mésopotamien, qui date de –6000 à –600 avant J.C., a
permis la création de la roue. Ce qui laisse supposer que les
mésopotamiens ont
peut être utilisé le tour à bois. En ébénisterie, ils ont
participé au développement des techniques d’assemblages à joint
vif, à mi-bois et à queue d’aronde. Leurs meubles étaient
fabriqués en bois, en métal et en roseau.
L’art égyptien, qui remonte à – 6000 à – 1000 avant J.C.,
élabora la technique de placage et de trompe l’œil pour donner
l’impression d’un autre matériau. Le bois des meubles était
souvent recouvert de feuilles d’or. Les motifs ornementaux privilégiés
de l’époque étaient végétaux et animaliers. Le type
d’assemblage utilisé était : la queue d’aronde, l'onglet
à tenon, l'onglet à double tenon, à mi-bois, le joint plat fixé par
chevilles. Les bois utilisés étaient l'acacia, le sycomore,
le cèdre, l'olivier, l'ébène. Ils n’utilisaient pas le bois tourné.
Le lien que l’on peut établir entre l’art mésopotamien et
l’art égyptien est au niveau de l’outillage et du mobilier.
Tous les deux utilisèrent la hache, la scie égoïne et la gouge et
fabriquaient des trônes, tabourets, marche-pieds et tribunes.
Durant tout le Moyen-Âge, des rapports étroits existaient entre le
mobilier de maison et le mobilier religieux. Les coffres comme les
sièges offraient de grandes ressemblances. L’emploi presque
exclusif du chêne est une des caractéristiques dominantes de cette
période. Les lignes essentielles de la structure déterminaient
l’aspect général des meubles et les formes étaient
d’influence architecturale.
|
|
C’est à cette époque que l’on voit apparaître l’armorium ;
un meuble romain avec des étagères intérieures, fermé par deux
vantaux situés sur sa façade. Ce meuble est directement l’ancêtre
de l’armoire actuelle. L’armorium était utilisé pour ranger
les tissus et les vêtements.
En ayant explicitement recours à des éléments tels que les
chapiteaux, les pilastres, les frises ou les linteaux, l’armoire,
plus que tout autre, est le meuble le plus riche en références
architecturales. Son aspect est imposant et sa base ample ; dans la
partie inférieure sont souvent logés des tiroirs, tandis que celle
du haut est fermée par deux battants de forme équarrie, parfois
marquetés. Tout à fait en haut, un riche cadre saillant ferme
l’ensemble lui conférant ainsi un aspect majestueux.
|
|
Évolution directe de l’armorium romain, l’armoire du Moyen-âge
est largement utilisée dans les couvents et les églises,
caractérisant ainsi les sacristies. Ce n’est qu’au XVe siècle
qu’elle intègre le mobilier de maison, où dans une version de
dimensions réduites par rapport à celles d’origine, elle vient
remplacer les coffres pour le rangement des vêtements.
Dans les premières décennies du XVe siècle, une nouvelle
variété d’armoire fait son apparition : aux côtés du modèle
traditionnel comportant un seul grand espace de rangement clos par
deux battants, se répand également une armoire à deux corps
superposés, munie de quatre vantaux. La sortie de ce nouveau modèle
souligne l’importance de la diffusion de ce meuble (appelé
Schrank en Allemagne), que l’on adapte aux besoins des uns et des
autres. Cette version à deux corps sera à l’origine de toute une
série de meubles-contenants se superposant les uns aux autres, qui
vont se déployer au cours des époques suivantes.
Dans les maisons flamandes, l’armoire, appelée Kast,
compte parmi les meubles les plus importants; l’appellation de
Kast est cependant un nom commun, car elle indique des
meubles-contenants variant du cabinet au buffet.
En Espagne, l’armoire est encore très influencée par le style
mudéjar, avec des portes décorées de plusieurs panneaux et sculptées
d’arabesques; lorsque le meuble se détache en deux parties, les
battants du haut peuvent comporter des grillages ou des arcades avec
des petits piliers réalisés au tour.
À la fin du XVIIe siècle et début du XVIIIe siècle, il y a une
vague de prospérité. L'architecte se charge des questions de décoration
intérieure. Il doit créer un cadre équilibré et somptueux
destiné à augmenter la splendeur royale et la grandeur
personnelle. Le mobilier devient un élément décoratif fondamental
sans aucune fonction pratique. Même les sièges, le long des murs
des salles d'apparat, jouent essentiellement un rôle décoratif.
À côté des modèles les plus simples, dont les dimensions
relativement modestes sont déterminées par l’emplacement dans
les pièces où ils siègent, la production des armoires à deux
corps se poursuit. La partie inférieure est souvent équipée de
tiroirs. Les vantaux sont parfois décorés de glaces rondes,
rectangulaires ou carrées ou, s’inspirant de modèles allemands,
la décoration est constituée d’un bossage en pointe de diamant.
Les arêtes peuvent comprendre des pilastres ou bien des colonnes de
différents types, tandis que la partie supérieure peut être ornée
d’un fronton avec un cadre saillant très décoré. Les piétements
sont soit en forme d’oignon (Pays-Bas, Allemagne) soit à
console ou en pattes de lion.
|
Armoire en noyer de la fin du XVIIe siècle au motif en pointe de
diamant, pied en boule |
D’une manière générale, les caractéristiques du
mobilier Louis XIII demeurent vivaces et l’influence prononcée
du goût italien assure le succès dominant des meubles plaqués
d’ébène, incrustés de bois précieux ou de pierres rares.
À l’image de l’ensemble des arts décoratifs, le
mobilier est placé sous la tutelle de la Manufacture royale des meubles de la
Couronne fixée aux Gobelins avec à sa tête Le Brun. Ce dernier insuffle un style homogène encore fortement marqué par la
surcharge italienne, régi par l’ampleur des lignes et un
sens rigoureux de l’ordre et de la symétrie.
À partir des années 1675-1680, André-Charles Boulle (1642-1732)
porte à son degré de perfection la marqueterie de cuivre et d’écaille,
auxquels s’ajoutent parfois l’étain, l’ivoire, la corne et le
nacre. Dans ses meubles, cet ébéniste associe deux types de
composition : la marqueterie en première partie, où le décor
de cuivre joue sur un fond en écaille, et la marqueterie en
contrepartie, où le décor en écaille joue sur un fond en cuivre. Boulle, le premier, adapte au mobilier des garnitures de
bronze ciselé et doré, au rôle décoratif essentiel.
Vers la fin du XVIIe siècle, l’armoire subit en France une
transformation radicale. La traditionnelle structure architecturale
enrichie d’éléments moulurés et sculptés trépasse, au profit
d’une apparence générale plus raffinée qui s'agrémente
d’incrustations de marqueteries précieuses.
André-Charles Boulle est le principal artisan de ce
changement radical qu’il met en œuvre grâce à ses talents
d’ébéniste et de marqueteur. Ailleurs en Europe, les
armoires continuent de se présenter sous une forme
architecturale traditionnelle, caractérisée par des
colonnes, panneaux et moulures, comme en Allemagne et en
Hollande. Parmi les modèles italiens, on note des armoires
peintes, parfois en trompe-l’œil.
|
Thomas Chippendale Dans la deuxième moitié du XVIIIe
siècle anglais, il propagea le style
chinois dans le mobilier. Chaque porte est décorée d'un paysage en
laque semblable aux estampes chinoises. |
En Angleterre, en raison de sa taille généralement
importante et massive, l’armoire est parfois remplacée par un
placard s’intégrant aux boiseries des parois. Lorsqu’il se
trouve à l’un des angles de la pièce, il est appelé corner
cupboard.
Vers le milieu du siècle, Thomas Chippendale imagine une armoire à
deux corps – celui du haut fermé par des vantaux et celui du bas
comportant plusieurs tiroirs se distinguant par sa ligne sinueuse.
Aux Pays-Bas, l’armoire de représentation se compose également
de deux parties, dont la base qui comporte un ou plusieurs tiroirs
interpelle la forme du cabinet.
En France, la construction de petites armoires, d’une hauteur
d’environ un mètre, décorées de marqueteries et de bronzes dorés
s’adaptent parfaitement aux petites pièces en accompagnement des
commodes. Les modèles les plus imposants, y compris les armoires
d’encoignure, peuvent être peints ou demeurer d’aspect plus
simple, et de ce fait être consacrés au rangement des vêtements.
|
Armoire arlésienne avec une division des portes en
trois panneaux moulurés de style Louis XV, une des caractéristiques des
armoires de cette région est la longue entrée de serrure |
L’armoire, autrefois massive et encombrante diminue ses
dimensions et vient meubler les plus petites pièces des
appartements privés. Elle modifie parfois sa fonction en s’enrichissant
d’une vitrine à deux corps qui peut abriter des objets précieux.
À la place du verre, les vantaux peuvent être équipés d’un léger
treillis de laiton. Par contre, l’Angleterre de l’époque, apprécie
notamment les wardrobes, les armoires destinées au rangement des vêtements.
À cette même époque, Venise acquiert une grande notoriété
pour sa production de meubles laqués. La laque, gomme-résine
originaire d’Extrême-Orient, nécessite une technique
d’application particulièrement délicate. Le support est
d’abord enduit d’une couche parfaitement uniforme. La personne
qui procède au laquage exécute ensuite, sur ce fond lisse, des
motifs décoratifs de diverses couleurs : animaux, fleurs,
chinoiseries, à la tempera. Finalement, les effets de transparence
surviennent par l’application successive de nombreuses couches de
laque (plus de 15), qu’il faut laisser sécher et polir
soigneusement au fur et à mesure qu’elles sont appliquées. Les
laques vénitiennes d’origine présentent des craquelures tout à
fait analogues à celles que l’on retrouve sur les tableaux
anciens des arts visuels.
L’une des composantes les plus caractéristiques de la production
génoise du XVIIIe siècle est le mobilier en laque. La technique
utilisée diffère sensiblement de celle alors utilisée à Venise.
Le laquage préparatoire est plus fin et laisse transparaître les
veines du bois. Le vernis de finition, a, pour sa part, beaucoup
moins d’épaisseur. La couleur de base est claire (blanc, bleu pâle,
rose), et la décoration est généralement à dominante bleue.
Comme mentionné précédemment, entre 1750 et 1800 la construction
du mobilier est confiée principalement aux menuisiers et ébénistes;
autour d’eux gravite tout un ensemble de corps de métiers et
d’artisans, tels que les tapissiers, les chantourneurs, les
bronziers et les doreurs, qui grâce à leurs compétences hautement
spécialisées, contribuent grandement au résultat final.
Pour la fabrication des structures, les menuisiers
choisissent des essences de bois de plus en plus précieuses; en
effet, si d’une part, les parties structurelles laissées
apparentes se font plus nombreuses, d’autre part, la finesse des
nouvelles lignes du mobilier nécessite des matériaux de première
qualité, afin de ne rien perdre en solidité. Les essences les plus
répandues sont le noyer et l’acajou, que l’on laisse à l’état
naturel, le hêtre, peint ou doré, le chêne, pour les armoires et
les meubles de taille imposante ou bien encore le poirier, l’orme,
l’olivier et le cerisier. Lorsque le bois n’est pas laissé dans
sa teinte naturelle, le décorateur procède à la dorure (ou à
l’argenture) et enfin au vernissage qui se fait avec une ou deux
couleurs, blanc seulement ou bien blanc et bleu ou encore vert et
bleu, en fonction de l’environnement dans lequel le meuble sera
placé.
|
|
La société subit des changements structurels radicaux, en
lien avec les progrès technologiques et industriels qui déterminent
une crise profonde au sein d’une économie jusque-là fondée
exclusivement sur le travail manuel. Les artisans sont de moins en
moins capables de réaliser des meubles avec les techniques
artisanales traditionnelles en demeurant concurrentiels sur le plan
du prix de revient. La production en série, réalisée à l’aide
de machines de plus en plus perfectionnées, a tendance à banaliser
l’aspect créatif, ayant comme seule préoccupation la technique
de construction et le rythme de production. Cela empêchera la création
de produits et de formes nouvelles. La mode des meubles reconstruits
fait son apparition. Il s’agit de meuble dont le bâti est ancien
pour lequel des essences claires (érable, citronnier et cerisier)
sont utilisées pour le fond, où est appliquée une marqueterie de
couleur contrastée, généralement en bois d’amarante.
Durant la première moitié du XIXe siècle, sous l’influence du
romantisme, qui remet le Moyen Âge au goût du jour, et du
mouvement néogothique, très suivi en Angleterre, on commence à
voir apparaître des motifs décoratifs s’inspirant de
l’architecture médiévale. Parallèlement à cet engouement néogothique
se manifeste une résurgence de la décoration baroque qui donne
lieu, à Florence et plus encore à Naples, à une production
d’une remarquable virtuosité. Cette période correspond, en
France aux règnes de Louis-Philippe et de Napoléon III. En Italie,
un incroyable amalgame de styles se développe, avec notamment un regain
d’intérêt pour le Louis XVI et, à partir de 1860, pour
l’exotisme (laques noires et incrustations de nacre). Dans le
dernier quart du siècle, on assiste à une brillante floraison de
mobiliers de style Renaissance. À Florence, en particulier, on
produit pour la riche bourgeoisie des meubles d’une grande habileté
technique. L’exposition internationale de Londres en 1851 reflète
un éclectisme qui imprègne tous les secteurs artistiques. Si dans
son ensemble et selon une opinion largement partagée la réputation
de l’éclectisme est plutôt négative, le goût de l’excès et
l’exigence d’aller jusqu’au bout des choses ont produit des
meubles souvent singuliers, laids parfois, mais néanmoins empreints
d’un goût pour l’aventure tout à fait unique.
|
|
La fonctionnalité des meubles connaît de nombreux
perfectionnements. Les proportions des meubles sont nettement adaptées
à leur usage. La réduction progressive de la taille des
appartements urbains incite les fabricants à proposer des meubles
multifonctions de plus en plus sophistiqués. L’armoire est
souvent équipée de deux glaces – parfois trois – au lieu
d’une, pour offrir une image plus complète de soi.
Le mobilier de Second Empire est une période essentielle dans l’évolution
du mobilier français. L’obsession des fabricants français est de
maintenir ou de rehausser la réputation internationale du faubourg
Saint-Antoine. En parvenant à une exceptionnelle qualité de
fabrication obtenue dans une infinie variété de techniques et de décors,
ils font face autant à la concurrence anglaise qu'ils servent les exigences
de la clientèle. D’une façon générale le caractère fastueux
domine dans l’ensemble de la production de mobilier : formes
généreuses, décor riche et couleurs franches. Non seulement les
meubles sont souvent énormes, mais encore les ornements prennent
une importance nouvelle ; ils sont omniprésents et laissent peu de
place au vide.
|
|
Les meubles se transforment plus profondément et plus
radicalement qu’au cours des autres périodes de l’histoire.
D’innombrables facteurs sont conjointement responsables de cette
transmutation rapide : la sophistication des technologies, le développement
de nouveaux matériaux, la primauté de l’architecture et du design,
etc. L’accent est mis sur la recherche et l’expérimentation en
vue de produire industriellement un mobilier de série désormais
accepté. Par l’emploi des structures métalliques et du verre, le
mobilier devient de plus en plus léger, de plus en plus
transparent.
L’armoire, qui n’a plus le premier rôle dans la pièce est
souvent intégrée aux murs (placards) et sa présence dissimulée
n’est révélée que par ses portes peintes ou décorées. La
forme se rationalise et devient géométrique, mais l’attention
des designers se concentre en particulier sur la fonctionnalité de
l’intérieur où compartiments et tiroirs sont étudiés par
rapport à ce qu’ils doivent accueillir et en fonction de besoins
réels.
|
|
Vers la fin du XIXe siècle, à peu près partout en
Europe, se manifeste la volonté de tirer un trait sur l’académisme
qui pèse sur l’art. Les arts décoratifs se libèrent des
influences du passé. Les architectes sont les premiers à ressentir
cette aspiration à un renouvellement de l’environnement de la vie
quotidienne. Les édifices qu’ils construisent, s’inspirent des
conceptions les plus modernes de confort et de fonctionnalité. Les
décorations d’intérieurs et l’ameublement doivent donc être
apparentées.
|
|
La symbolique ou le statut social de l’objet a désormais
beaucoup plus d’importance que sa fonction réelle. La
demande frénétique de nouveautés de la part du public
contraint quelque fois à puiser dans les formes du passé en
privilégiant les solutions technologiques, parfois au
détriment des solutions formelles. En ce qui a trait à
l’armoire, même si la logique de sa fonction l’a toujours
voulu pratique, rationnelle et plus ou moins expressive,
elle cherche à sortir des limites étroites dans lesquelles
l’avait confinée l’usage, tout en veillant à ne pas nuire à
ses qualités propres. On assiste à la naissance d’armoires
de ligne moderne qui ne veulent ni s’intégrer ni
disparaître, mais revendiquer, avec assurance, un droit de
citer mérité par une présence utile ou simplement, nous
raconter une histoire…
|
Etude
des styles du mobilier
André Aussel et Charles Barjonet, Edition Dunod, 1985, 173 pages
Petit livre d'initiation destiné à un large public, autant que
manuel pour les sections (ameublement) des établissements
techniques, cet ouvrage a pour ambition de faire comprendre aisément
l'évolution des styles du mobilier, depuis son apparition dans
l'Antiquité jusqu'à nos jours.
Histoire
du mobilier
Edward Lucie-Smith, Edition Thames & Hudson, 1990, 215 pages
Histoire du meuble, de la préhistoire au post-moderne.
Les
styles du mobilier
Ernst Rettelbusch, Edition Eyrolles, 2000, 303 pages
Les
styles Français. Guide historique
Jean-François BARRIELLE, Flammarion, 1998, 446 pages
Présentation chronologique, de la
Renaissance à l'art déco, des oeuvres élaborées dans le domaine
de l'architecture, du mobilier et des arts décoratifs.
Le
mobilier domestique, tome 1 : vocabulaire typologique
Nicole de Reynies, Edition Monum, 1992, 673 pages
Ouvrage indispensable pour tous les brocanteurs et antiquaires, car
il y est répertorié pratiquement tout le mobilier connu à ce
jour.
|